• Je m'appuie ici sur une consigne de François Bon lors d'un atelier d'écriture sur le principe de l'accumulation et d'après une phrase de l'écrivain Tarkos. Allez directement sur le lien car vous ne perdrez pas votre temps de toute façon en butinant au hasard sur le site de tierslivre.

     Dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux pester contre cet ordinateur aussi sensible au toucher que la princesse au petit pois et qui m'affiche des messages sybillins dont je n'ai cure; dans les huit minutes exactes qui suivent je peux poser une main trop froide sur le front trop chaud de mon redevenu petit et qui n'a pas été malade depuis au moins dix-huit ans et le regarder, lui, les yeux fermés, ses longs cils de bébé qui m'émerveillaient, sa barbe maintenant de plusieurs jours, dans les huit minutes exactes qui suivent je peux dégager ses cheveux humides en arrière de son front, caresser son front avec ce renflement horizontal - la bosse des maths?- qu'il a en commun avec son père, m'attarder sur ces sourcils qui se rejoignent au-dessus du nez, voir deux plis verticaux se former et fermer son front sous l'effet de ma main; dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux le voir se réveiller et déglutir difficilement, je peux lui demander de prendre sa température, lui tendre le thermomètre et le voir refermer les yeux sur sa fièvre, la main sur le thermomètre; dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux sortir de la chambre, préparer le remède effervescent, m'angoisser pour mon tout grand redevenu tout petit et revenir dans sa chambre, le verre dans la main, le sourire aux lèvres, la main gauche sur le front bombé, lisser cheveux en arrière, prendre le thermomètre, regarder la graduation atteinte par le vif-argent, m'alarmer si trop près de quarante, me ressouvenir d'une terrible fièvre, lui bébé, l'été, ne me reconnaissant plus, les mots "risques" et "convulsions" prononcés par le médecin, les bains toutes les demi-heures -deux degrés en dessous de la température - dans la cuisine de maman, avec elle, surveillant la température de l'eau, moi celle de L., nuit d'angoisse... Mais les huit minutes sont écoulées, l'ordinateur s'est tenu docile sous mes doigts, je monte voir mon redevenu petit. 


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  • Personnages:

    • Va, frère de Vient
    • Vient, frère de Va
    • Allée, soeur de Venue
    • Venue, soeur d'Allée

    Va et Vient entrent très rapidement coté cour et sortent côté jardin en fond de scène. Silence. Même jeu de jardin à cour. Même jeu à l'avant-scène. Ils s'arrêtent, s'assoient et regardent le public. Leur visage est neutre. Va enlève sa chaussure, et se masse le pied. Vient le regarde et hausse les épaules. Venue entre très rapidement côté cour en fond de scène derrière les deux hommes qui ne la voient pas. Allée entre côté cour une chaussure à la main et tente à cloche-pied de rattraper sa soeur en faisant de grands gestes. Elle sort. 

    Venue entre côté jardin à l'avant-scène et passe devant les deux hommes sans les voir, qui la suivent du regard jusqu'à sa sortie côté cour. Allée la suit, toujours à cloche-pied  mais quand elle aperçoit les deux hommes, s'arrête et s'assied à côté de Va. Chacun des deux regarde la chaussure de l'autre. Un temps assez long. Ils lèvent la tête, se sourient. Temps assez long. Vient les observe, hausse les épaules, se lève et sort côté cour. Noir.

    Vient et Venue enlacés par la taille entrent côté cour tandis que Va et Allée entrent de l'autre côté en faisant de grands gestes. Visiblement, ils se disputent, l'un ou l'une faisant une scène à l'autre. Les deux couples se saluent et très vite Allée entraîne Venue à l'écart. Elle pleure et fait de grands gestes agressifs en direction de Va. Venue prend sa soeur dans ses bras. Même jeu entre Va et Vient, à l'autre bout du plateau. Un temps assez long. Vient commençant à trouver le temps long (il regarde sa montre et soupire tout en tenant son frère dans ses bras), tourne la tête pour tenter d'attire l'attention de Venue, qui ne le voit pas. Excédé, il se dégage de l'étreinte de son frère et va rejoindre Venue. Il lui montre sa montre. Venue l'ignore et continue à consoler sa soeur. Il insiste. Elle le chasse. Il revient à la charge, elle se déchausse et lui lance sa chaussure. Il sort de scène, entraînant son frère dans son sillage. Noir.

    Bon, allez, je suis bonne princesse, j'arrête. Comment ça finit? Va et Vient reviennent sur scène et disparaissent. Allée et Venue entrent et sortent. Va croise Venue dont il tombe amoureux et Vient tombe amoureux d'Allée, mais cela finit mal, car ils ne sont pas du même temps: Va et Vient appartiennent au présent et ne peuvent pousuivre les chimères du passé; Allée et Venue ne peuvent vivre avec le présent éternellement. D'ailleurs, Allée et Venue ne sont même pas soeurs... Bon, cette fois, j'arrête vraiment. Un message? Non, non, il n'y a aucun message, mais si vous y tenez...


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  • Ne rien faire d'une après-midi dont on se réjouissait par avance pourtant. Ne pas l'imputer au froid revenu avec matinées blanches givrées et mistral postméridien nettoyant le ciel à sec. Du travail et des corvées, on avait, mais grande lassitude veut repos. Petite sieste coupée de sonneries d'alarmes qui alarment les nerfs. Petite promenade sur quelques blogs. Petit fourmillement d'écriture. Chercher des contraintes. Tomber sur des concours de nouvelles. Ne pas être portée par les thèmes. Un cependant. Plus qu'un thème, un voyage, un rêve qu'on se met à rêver tout éveillé. Il s'agit d'écrire une nouvelle sur le transsibérien: on peut choisir la formule sédentaire ou la nomade. On écrit la nouvelle dans le train mythique de Moscou à Pékin, en juin 2011. Rêver encore. Calculer si on peut faire du rêve réalité. Mais harcèlement percepteur par lettres recommandées empêche rêve d'aller plus loin.

    Alors, rentrer le linge. Déplier corps ratatiné sur le lit. Prendre un livre pour oublier de ressasser. C'est celui offert par Esperluette. Gardé pour les jours comme celui-ci où on n'en peut mais. D'emblée, aimer l'écriture. D'emblée, être conquise par Lait noir d'Elif SHAFAK:

    Elle s'est tellement conditionnée à "réussir" que dès que quelque chose va de travers, elle se traite immédiatement de "ratée". Elle rougit de honte, comme si une mauvaise note venait ternir son carnet de bons points. Après chaque bêtise, elle s'excuse à voix haute, on ne sait auprès de qui. De présences invisibles, peut-être. C'est presque automatique. Elle est accablée de honte du matin au soir.

    Elle ignore qu'avoir constamment l'excuse à la bouche peut aussi devenir une addiction. A répéter "excusez-moi" à tout bout de champ, le nombre de fautes ne fait qu'augmenter.

    C'est un récit sur la dépression d'une femme après un accouchement (dit comme ça, ça ne donne pas forcément envie, mais c'est plein d'humour aussi) dont les premières pages sont rédigées à la troisième personne, une femme qui se néglige se regardant dans un miroir et puis soudain la première personne prend la parole.

    Je devins analphabète. Incapable de lire et d'écrire. Dépouillée de ces lettres qui étaient mes yeux, mes oreilles, mes compagnes de route. J'oubliai l'alphabet. Les "A", les "B", les "C"... tous s'envolèrent comme de rouges cerfs-volants, avant de se prendre aux fils, aux poteaux, aux toits et aux branches des arbres. Je ne pus en sauver aucun. Leur ficelle me resta dans les mains. Les mots étaient mes créatures miraculeuses; ils se dispersèrent et s'évanouirent un à un. Je devins incapable de penser, de rêver, d'écrire.

    M'arrêter. Fermer le livre. En garder pour les autres jours. Reste à fleur de mémoire une expression que je viens de lire qui n'en peut mais et qui décrit bien l'état dans lequel je me trouve cette après-midi, ce sentiment d'impuissance à faire quoi que ce soit (mais l'adverbe hérité de l'ancien français et signifiant "plus", "davantage" et non la conjonction de coordination) si ce n'est avaler les mots des autres.

    Si tu me lis, Esperluette, merci pour ce cadeau...

     

     


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  • Voici un texte rédigé pour un concours organisé par l'espace Pandora "Dis-moi dix mots qui relient" avec la contrainte d'utiliser les dix mots suivants: accueillant, agapes, avec, choeur, complice, cordée, fil, harmonieusement, réseauter... Les personnages de "Au-bord-de-tout" sont revenus tout doucement se loger sous mes doigts, je leur ai souri... Liseuse de signes est devenue Esperluette...

     

    C'était une fin du monde concentrée et silencieuse. Curieusement. Car nous étions encore capables de curiosité. Dans l'attente de voir ce que ce dernier jour nous réservait. Peut-être bien une dernière nuit. Encordés pour plus de sécurité, nous avancions en file indienne, ni indiens, ni alpinistes, dérisoires caractères noirs Times New Roman police 12 sur l'Anapurna d'une nouvelle page blanche mais pour quels mots, quel texte et surtout quel(s) lecteur(s)?

    Si d'autres groupes avaient survécu, nous étions bien trop isolés les uns des autres pour nous entraider, alors quant à nous lire...

    En attendant, nous marchions, mal équipés, mal préparés, épuisés. Nous grimpions, la pensée réfugiée dans nos pieds de plomb, nous, habitués à faire voler les mains sur le clavier. Un nouveau pas était une épreuve, mais un pas de gagné Le Barbare érudit jouait les Frison-Roche en premier de cordée. Suivi d'Esperluette, notre liseuse de signes. Puis Joueur de Hang, Tisseuse, L'Arpenteur d'étoiles, Pluie de paroles, Ici avec Là, et Lautreje. Je fermais la marche.

    Quand les premières inondations avaient eu lieu en Australie, nous expérimentions l'écriture en groupe, sans virgule, sans majuscule, sans point. Ne pas rompre le fil, tel était notre crédo. Notre réseau s'était constitué naturellement. Aucun d'entre nous ne réseautait pour réseauter. Non, se constituer un réseau de relations utiles pour, ou communiquer pour communiquer, ou pour faire du chiffre – t'as combien d'amis toi? - nous semblait un rien obscène. En revanche, écrire et lire nous importaient, la langue crue ou cuite constituait nos agapes quotidiens. Sur nos blogs, suivant le fil des commentaires des uns et des autres, nous enhardissant à émettre des critiques ou des enthousiasmes, accueillant chaque nouvel arrivant comme le mot juste et manquant, harmonieusement, nous formions une véritable tribu quoique virtuelle. Complices, étions-nous devenus sans nous rendre compte que nous étions devenus complices des Grands Nommés, affameurs et affabulateurs. Car nous les avions laissé faire. Contre ceux du Grand Nombre. Dans l'urgence de poursuivre l'écriture de notre épopée Au-bord-de-tout, nous n'avions pas écouté le choeur des Twitteriens nous avertissant du danger. Pas vu que nous étions au bord de rien. De la grande page blanche. Des grandes pluies.

    Désormais, gagner les cimes il fallait, gagner sur l'eau qui ne cessait de monter. Grâce à Esperluette qui avait su décrypté les signes, nous avions convenu de nous retrouver au Népal, au pied de cette montagne...

    Repris mon vieux carnet de papier, le couvre de signes plus noirs que le ciel, profitant de la pause que nous octroie le Barbare érudit. La nuit, le sommet et le sommeil sont encore loin. La chronique de notre épopée, il me faut tenir jusqu'au bout. On ne sait jamais toujours.

     


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    Le thème des Impromptus étant cette semaine "Condensé" avec la contrainte d'écrire un texte en 125 mots, je ne vous ennuierai pas très longtemps...

    Un digest (indigeste)

     

    Longtemps je me suis couché de bonne heure. Longtemps je me suis couché tôt. Je me suis couché tôt. Décidément, je peinais sur cette commande. D'habitude, je m'en sortais plutôt bien, mais là, faire le digest de A la recherche du temps perdu en 125 mots, ils y allaient un peu fort. Certes, les dernières analyses prouvaient que seuls les lettrés de Pragma pouvaient assimiler plus d'une centaine de mots d'affilée, contrairement à la majorité des Pragmatiques, mais bon... J'avalai une capsule de Nespressox et m'attelai à la tache: «Combray. Couché tôt. Maman? Non. Chambres. Tante Léonie, madeleine, tisane. Mémoire affective. Swann et sa cocotte. Balbec. Albertine. Ma captive. L'écrire. Perdu long temps. » Enlever l'adjectif. Dégraisser. Encore. « Perdre son temps à l'écrire. » Voilà, c'est bon, ça.


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