• N'en pouvoir mais

    Ne rien faire d'une après-midi dont on se réjouissait par avance pourtant. Ne pas l'imputer au froid revenu avec matinées blanches givrées et mistral postméridien nettoyant le ciel à sec. Du travail et des corvées, on avait, mais grande lassitude veut repos. Petite sieste coupée de sonneries d'alarmes qui alarment les nerfs. Petite promenade sur quelques blogs. Petit fourmillement d'écriture. Chercher des contraintes. Tomber sur des concours de nouvelles. Ne pas être portée par les thèmes. Un cependant. Plus qu'un thème, un voyage, un rêve qu'on se met à rêver tout éveillé. Il s'agit d'écrire une nouvelle sur le transsibérien: on peut choisir la formule sédentaire ou la nomade. On écrit la nouvelle dans le train mythique de Moscou à Pékin, en juin 2011. Rêver encore. Calculer si on peut faire du rêve réalité. Mais harcèlement percepteur par lettres recommandées empêche rêve d'aller plus loin.

    Alors, rentrer le linge. Déplier corps ratatiné sur le lit. Prendre un livre pour oublier de ressasser. C'est celui offert par Esperluette. Gardé pour les jours comme celui-ci où on n'en peut mais. D'emblée, aimer l'écriture. D'emblée, être conquise par Lait noir d'Elif SHAFAK:

    Elle s'est tellement conditionnée à "réussir" que dès que quelque chose va de travers, elle se traite immédiatement de "ratée". Elle rougit de honte, comme si une mauvaise note venait ternir son carnet de bons points. Après chaque bêtise, elle s'excuse à voix haute, on ne sait auprès de qui. De présences invisibles, peut-être. C'est presque automatique. Elle est accablée de honte du matin au soir.

    Elle ignore qu'avoir constamment l'excuse à la bouche peut aussi devenir une addiction. A répéter "excusez-moi" à tout bout de champ, le nombre de fautes ne fait qu'augmenter.

    C'est un récit sur la dépression d'une femme après un accouchement (dit comme ça, ça ne donne pas forcément envie, mais c'est plein d'humour aussi) dont les premières pages sont rédigées à la troisième personne, une femme qui se néglige se regardant dans un miroir et puis soudain la première personne prend la parole.

    Je devins analphabète. Incapable de lire et d'écrire. Dépouillée de ces lettres qui étaient mes yeux, mes oreilles, mes compagnes de route. J'oubliai l'alphabet. Les "A", les "B", les "C"... tous s'envolèrent comme de rouges cerfs-volants, avant de se prendre aux fils, aux poteaux, aux toits et aux branches des arbres. Je ne pus en sauver aucun. Leur ficelle me resta dans les mains. Les mots étaient mes créatures miraculeuses; ils se dispersèrent et s'évanouirent un à un. Je devins incapable de penser, de rêver, d'écrire.

    M'arrêter. Fermer le livre. En garder pour les autres jours. Reste à fleur de mémoire une expression que je viens de lire qui n'en peut mais et qui décrit bien l'état dans lequel je me trouve cette après-midi, ce sentiment d'impuissance à faire quoi que ce soit (mais l'adverbe hérité de l'ancien français et signifiant "plus", "davantage" et non la conjonction de coordination) si ce n'est avaler les mots des autres.

    Si tu me lis, Esperluette, merci pour ce cadeau...

     

     


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  • Commentaires

    1
    Shanti
    Vendredi 21 Janvier 2011 à 19:27

    Mais oui Esperluette est passée, mais trop vite, Esperluette reviendra

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