• Désolée, chers lecteurs, mais le grand Soudain a fait aussi irruption dans ma vie. Je suis obligée d'interrompre momentanément le feuilleton. En attendant, je reproduis ici deux extraits d'un entretien de Télérama (n° 3141/24 mars 2010) avec Charles Juliet qui entrent en résonance avec ce que je vis en ce moment. J'espère qu'il en sera de même pour vous.

    "Il arrive qu'une idée me vienne, et au moment de l'écrire, je me rends compte que finalement, ça n'est pas ce que je pense, et que même je fais totalement erreur, et qu'il faut que je revoie tout cela. Longtemps, l'oral m'a fait terriblement peur. J'étais noué. Il fallait vraiment que je m'arrache les mots pour arriver à parler. Mais maintenant, je n'ai plus aucune appréhension. A mon grand étonnement."

    "C'est assez rare -et je ne veux pas dire que j'y arrive- de rencontrer des textes qui soient pris dans un profond silence. L'écriture de Beckett, par exemple, vient d'un grand silence intérieur. Je trouve cela très impressionnant. C'est très beau, le silence. Il y a un très grand abandon. C'est un vaste espace, qu'on n'a aucun désir de quitter. On ne peut pas le provoquer. Car le provoquer, c'est avoir une intention qui est contraire à ce silence."

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  • Nous allions. Bon train. Bon allant et bon vent. Les jumeaux, Ici et Là, s'étaient tus et Pluie n'avait pas encore pris le relais. De temps en temps, Barbare trouait le silence de son cri éveiller. Depuis des heures, les chiens nous halaient de l'avant, haletant d'une bonne haleine, à bonne allure. Sur cette vaste étendue glacée, blanche et grise, chacun d'entre nous laissait le fil de la pensée se dérouler, les images s'échapper, sans chercher à les retenir. Nous les laissions aller et nous allions.

    Parfois, je songeais à mon nouveau nom et à ma nouvelle fonction dans le groupe. Les arcanes du Mah-jong n'avaient pas tout dit mais depuis la disparition du Creuseur de Parole, il semblait évident que je devienne La Chronique. Le groupe me l'avait fait comprendre. Répondrai-je à leurs attentes? Ne les décevrai-je pas, une nouvelle fois? Que n'avais-je été? Tant de fois, née étais-je, tant de fois, un nouveau nom avais-je pris, tant de fois, tué dans l'oeuf l'avais-je. De La Conique - long cornet de silence de mon enfance- à La Promesse jamais tenue, il fallait, avant d'embrasser le nom de L'Accomplie, endosser celui de La Chronique. C'était un engagement lourd de conséquences et vers l'allègement jusqu'à présent m'étais-je tournée. J'enviais aux enfants le confort de ne pas choisir. 

    Le choix du nom nous avait hors-la-loi, la loi des Grands Nommés s'entend, rendus. Rendus? Pas encore. Nous avions refusé les implants identitaires qui faisaient de ceux du Grand Nombre des codes-barres. De même, nos pupilles et nos empreintes palmaires n'avaient pas été scannées. Les Grands Nommés héritaient des noms de leurs parents, en même temps que le capital humain nécessaire à leur vie luxueuse de nantis. 

    La plupart de mes compagnons avaient choisi leur nom, une fois pour toutes. Qui signait l'entrée dans l'âge adulte. Tisseuse, dont les dons avaient été détectés dès l'enfance, avait toujours porté son nom. Joueur de Hang devenait de plus en plus Hang - mais peut-être revêtait-il un autre nom seul réservé à Tisseuse. Ces deux-là, devenus quatre d'un coup, avec la naissance d'Ici et Là, chers à nos coeurs, formaient le coeur de notre groupe. A plus de prudence, ils nous incitaient. Quant à Lautreje, c'était son troisième nom. Avant, vénéneusement belle, la Semeuse de Trouble elle était, et ma rivale. Après la perte du Creuseur de Parole, avec un petit couteau à manche plat destiné aux opérations chirurgicales, elle avait voulu graver son nom au creux de son poignet. Du moins, c'était sa version. Je l'avais trouvée inanimée baignant dans son sang. Paniquée, j'étais aller chercher Tisseuse, qui avait réussi à maintenir le filet de vie de celle qui était devenue Lautreje, et mon amie. Grâce à l'art de Tiseuse. Je la regardais jouer avec ma fille et lui tendre son poignet - cicatrisé depuis longtemps sinon le coeur- pour que Pluie y inscrive le gazouillis de ses mots. 

    Nous allions. On eût dit que rien ne pouvait se passer. D'ailleurs, dans ce grand désert blanc, rien ne passait que nous, comme le tracé de l'encre sur la blancheur de la page. Soudain, nous l'entendîmes, le grand Soudain. Plus fort et plus près que la première fois. 


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  • Le Barbare érudit avait déjà le traîneau préparé, les chiens nourris et les rênes en main. Il me jeta un regard foudroyant. Il est vrai que la dernière, j'étais. Liseuse, agenouillée sur la glace scrutait les signes. L'Arpenteur d'étoiles s'était déjà rendormi la tête sur l'épaule de Tisseuse. J'avais eu du mal à réveiller Pluie de mots, la benjamine, qui pleurait encore dans mes bras. Comme moi, elle ne supportait pas qu'on la réveille, qu'on interrompe le fil de ses rêves. Lautreje nous fit une place à ses côtés. Elle tendit un biscuit à Pluie qui oubliait déjà son rêve. Nous observions tous Liseuse. L'oreille droite, séparée de la glace par un simple foulard en soie, écoutait se déchirer la terre. A des milles de là, elle la percevait et tentait d'en mesurer la progression. Elle indiqua à Barbare une direction et vint se blottir contre Joueur enveloppant d'une nouvelle couverture son précieux hang. Au complet, serrés dans le traîneau, prêts à partir nous étions. Barbare son cri célèbre poussa, son cri de toutes les voyelles empli, et les chiens qui, ses couleurs reconnurent, s'ébranlèrent aussitôt.
    De nouveau, en partance nous étions. Le vent sifflait dans nos oreilles. Piaillaient de joie les enfants. Les jumeaux, surtout. Huit êtres humains et dix chiens. La glace rompait, un peu plus loin. Pour l'instant, elle nous portait, nous glissait vers un ailleurs, un à-venir inconnu dont nous n'attendions qu'un répit. Mais un jour, elle romprait, et avec, tout ce qui nous reliait à ce monde. Le monde avait craqué bien avant elle. Un monde scindé en plusieurs mondes, avec aux deux extrêmes, ceux du Grand Nombre et les quelques Grands Nommés. Ces derniers, si mal nommés car de grand pas le coeur assurément, avaient si bien oeuvré, tant manoeuvré, tant mal oeuvré qu'il restait bien peu du Grand Nombre. Après famine, désespoir, suicides, ceux qui restaient s'étaient ensauvagés au point de n'accorder à la vie humaine qu'une valeur toute relative. Valeur d'échange tout au plus. Le Barbare Érudit nous avait expliqué qu'en d'autres temps, les hommes avaient cru pouvoir régler tous les problèmes avec une valeur d'échange appelée monnaye je crois; ça avait tenu de nombreux siècles mais le système n'avait fait que creuser l'écart entre le Grand Nombre et les Grands Nommés jusqu'à la Grande Catastrophe du XXIe siècle. Je n'avais pas trop suivi son raisonnement, car à cette époque, j'étais en amour pour le Creuseur de Paroles. Mais je dois en tant que chroniqueuse de la geste de notre communauté, me concentrer sur notre périple et ce qui nous a conduits ici.

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    Pour une réforme de l'orthographe? 


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    Le plus beau (bi?)centenaire de la ville et la même remarque à chaque fois de D.: Il a dû voir passer Napoléon, lui. 

     derniers billetsIl nous faut emprunter l'ancien chemin de Montravail -chemin privé- ça ne s'invente pas... Dans cette voie, un bien belle demeure surveillée par deux lions flanquant un crapaud. Au sol, deux grenouilles écrasées, sèches, intriguent l'oeil. Liseuse de signes n'est pas à avec nous pour les interpréter...

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    A 15 h30, au bureau de vote, sur le vieux tableau d'école, le pourcentage de votants était de 32,4%.

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  • Je commence ici une sorte de feuilleton, intitulé Au-bord-de-tout qui ira peut-être quelque part, peut-être pas.


    C'est officiel. Reçue, j'ai été. La chroniqueuse de la communauté je suis, et en tant que telle, de choisir un nouveau nom, je viens. Qui, secret, restera. Divulguée, en revanche, notre histoire sera. 
    Tout a commencé. Ce jour-là, s'ensuivre devrait. Mais point. Seul le lieu, je nommerai. Car quitté, nous l'avons et d'importance, donc, cela n'a plus. Entre-temps, Lautreje sur mon épaule s'est penchée, ses longs cheveux m'ont doucement giflée quand elle a murmuré: Ca n'avance pas, tu n'y arriveras pas, comme ça. Nous n'avons pas le temps. Hâte-toi. Va à l'essentiel. Je me suis retournée mais elle était déjà partie. Elle a raison. Je recommence.
    Les enfants petit-déjeunaient, les yeux encore ébouriffés de rêves, cheveux entortillés de souvenirs d'oiseaux. Joueur de Hang faisait déjà résonner son bol près du poële à bois. Les sons réchauffaient bien plus la pièce que le soleil de cette matinée de mars. Un moment de quiétude sur lequel je veux encore un peu m'attarder avant d'entamer la narration. C'était un abri provisoire, nous le savions tous. Mais cela faisait déjà  deux saisons que nous y avions établi notre nid et nous nous prenions à rêver d'y passer le printemps. Liseuse de Signes interprétait mon tirage au Mah-jong. Les deux lotus, côte à côte, signifiaient à coup sûr une double naissance. J'ai haussé les épaules. A mon âge? Après avoir été mère de trois enfants, dont un vivant? Liseuse a souri: Regarde la carte à côté, idiote. Tu as oublié ce que signifiait le pin? Mes yeux ont dû briller plus vif car Joueur a interrompu un instant le ballet de ses mains sur le Hang et s'est tourné vers nous. Bon, d'accord, ai-je dit, une naissance à l'écriture, mais tu me l'as annoncé depuis si longtemps que j'ai peine à y croire. Et puis, tu as parlé d'une double naissance, non?
    - Je ne fais que lire à voix haute ce que tu n'entends pas toujours en ton for intérieur. Retourne les trois suivantes.
    J'ai retourné "Maison", "Sept étoiles" et "Eau" quand Barbare Érudit a fait irruption dans la pièce.
    - Il faut partir! Joueur, bouge-toi le cul! Il faut avertir les autres. 
    - C'est bon, man. Calme-toi et explique-nous d'abord.
    - Pas le temps, pour ça...
    Joueur de Hang a posé son instrument, déplié son long corps et c'est alors que nous l'avons entendu. Le craquement lugubre de la glace qui se fissurait. Ce n'était pas tout près, on avait encore le temps. Mais Barbare avait raison. Il fallait partir. La terre craquait de nouveau, scindant en  plusieurs continents la terre autrefois une et indivisible. 

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