• Pris l'air printanier pour un appel d'air cet après-midi. L'air de rien, avec L., avons pris le pouls de la ville (Aix se porte bien, merci pour elle) et l'air du temps. Avons acheté quelques biens culturels puis sommes rentrés. Je voulais écrire un billet sur quelques personnages rencontrés ces derniers jours sur les blogs, imaginé une histoire avec leurs pseudos qui font rêver (Tisseuse de liens,l'Arpenteur d'étoiles,le Barbare érudit, tenez-vous prêts à entrer en scène, ce n'est que partie remise)et mettent en branle l'imaginaire. Avons emprunté les ruelles, les moins encombrées, les moins boutiquées, les moins peuplées et puis en arrivant à la place d'Albertas, un son inconnu a suspendu nos pas. Le timbre clair, mat, parfois plus sourd d'une percussion d'un ailleurs. derniers billetsderniers billets





























    Une jeune fille vermillonnante, assise en tailleur, faisait danser ses mains sur un double bol résonnant de sons rouges et lumineux. C'était une musique étrange, un rythme envoûtant et puissant qui disait quelque chose de l'Orient, des montagnes, et peut-être du Tibet. Si difficile de parler de sons, de musique. Un extrait préférable.

     Il s'agit d'"Envol immédiat" et l'instrument s'appelle le hang. Les mains de Marie se sont arrêtées de voltiger et les sons sont restés suspendus un instant en l'air, dans un air hors du temps, hors du dehors de la place, et pourtant présent et bien ici. En parlant un petit peu avec Marie, elle m'a appris que l'instrument n'était pas tibétain, mais inventé par un Suisse. Son compagnon, Loïc, joueur de hang également, a composé un album: Le Voyage du Hang, pour financer leur projet. Ils ont voyagé plusieurs mois en vélo jusqu'à atteindre l'Iran mais n'ont pu atteindre leur destination finale: l'Inde, faute de visa. Ils ne savent pas s'ils pourront repartir de sitôt. Vous pouvez les contacter (pour vous procurer le CD, par exemple, ça caresse vraiment les oreilles): Lavie2ventnous@hotmail.fr


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  • L'action se suspend- C'est en lisant ces mots du très bel essai Avez-vous lu REZA? de Denis Guénoun (éd. Albin Michel), que m'est revenu un moment de la semaine, avec M. en entrant au collège pour la demi-journée banalisée. Lisant l'affiche sur le portail, M. a levé la tête vers le ciel en riant et m'a fait voir les "Cours suspendus" dans l'air froid du petit matin. J'ai ri avec elle, nous émerveillant de ces guirlandes suspendant le cours ordinaire des choses, scintillantes de givre et de joie festive. Car la demi-journée banalisée nous faisait sortir du banal, des cours et des élèves. 
    D'abord, nous, habitants des venelles, nous en sommes sortis de nos venelles, ruelles, rues pour prendre la route tous les quatre dans la même voiture, une fois n'est pas coutume. Et ce n'est pas coutume faisait notre joie. Bien sûr, au collège, nous nous parlons, nous apprécions, mais faute d'emplois du temps communs, nous pouvons tout au plus co-voiturer à deux et je ne peux plus partager le trajet avec M., avec laquelle je partage ce besoin d'enchantement du réel. Au point de vouloir emprunter d'autres routes certains matins ensoleillés, pour l'Italie. Ce jour-là encore, avec M., nous nous sommes promis de faire un jour le collège buissonnier avant qu'elle prenne sa retraite. Ces "cours suspendus" m'ont rappelé les paroles gelées de Rabelais, et aussi le Ô Temps, suspends ton vol lamartinien, bizarrement aussi de la "Ballade des pendus" de Villon, qui m'a rappelé le texte de Michon évoquant la mort de sa mère dans Corps du roi:
    Je devais prier, appeler le coeur et l'âme, que cette femme méritait. J'essayai une de ces choses apprises au catéchisme, sans doute le Notre Père, je m'arrêtai très vite. Et puis le texte, la prière, s'imposa, venue de très loin, comme envoyée par un autre, et je la dis haut, pour que la morte l'entende, en quelque sorte: "Frères humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs contre nous endurcis, car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous merci." Le coeur et l'âme accoururent, je dis le poème d'un bout à l'autre comme il doit être dit, dans les larmes, je me tins debout devant le cadavre de ma mère comme on doit s'y tenir, dans les larmes. ("Le ciel est un très grand homme", Corps du roi, p. 72-73, éd. Verdier).

    Des cours suspendus à la suspension de l'action, en passant par les paroles gelées et le suspens du vol du Temps, de tours en détours, la pensée s'amuse, pour fuir le noeud coulant de la mort ou pour mieux l'épouser? Peu importe, la boucle sera bouclée un jour et entre temps, les mots auront dansé. Comme dans le "Bal des pendus" du jeune Rimbaud qui nous donne à voir le plus vivant des morts, dans un dernier sursaut de liberté, à la fin du poème:

    Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre
    Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
    Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre:
    Et, se sentant encor la corde raide au cou,

    Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
    Avec des cris pareils à des ricanements,
    Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
    Rebondit dans le bal au chant des ossements.

    Au gibet noir, manchot aimable,
    Dansent, dansent les paladins,
    Les maigres paladins du diable,
    Les squelettes de Saladins. 

    Arthur RIMBAUD, Poésies, Une saison en enfer, Illuminations, éd.nrf, Gallimard, "Les Cahiers de Douai", p. 52  

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  • Je bataille contre l'informatique et si je m'avoue provisoirement vaincue, la guerre n'est pas finie. Comme je n'ai pas pu envoyer mon texte aux "impromptus littéraires"  (après avoir perdu mon temps à renseigner le formulaire imap - imappelle, imapostrophe, imapasencore- et me l'être vu refusé pour des champs par défaut et vitupéré contre cette machine pour mutants nés avec et ma nullité de dinosaure, je le mets ici. Nâ.

    Elle a plu toutes les pluies de son corps. Et puis elle a mouru. 

    Et puis non: elle s'est dit que c'était trop bête de n'être plus pour lui avoir déplu. Elle s'est plu à l'imaginer noyé sous les pluies de la mousson, et puis tordu de douleur à cause du palu, écrasé par un palétuvier déraciné. Le visage écrabouillé, il ne lui a plus plu, plus manqué, plus rien du tout. Alors il lui a plu de se plaire, à elle, la déplue. Après la plaie ouverte et la plainte, elle est passée au plaisir.

    Les pluies ont cessé, lavé les trottoirs et les plaies. Un parapluie s'est fermé. Un ciel s'est ouvert. Il lui a plu.


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  • On était tous là donc pour écouter Booz endormi et aussi Ruth éveillée, à ses côtés, dans cette belle nuit d'été, sous cette faucille d'or dans le champ des étoiles . Une petite compagnie, et de bonne, à venir écouter Michon lire le poème de Hugo. Et il l'a fait. Il l'a bien fait, le numéro de celui dont c'est la profession de lire Booz endormi de Hugo, comme il l'a dit avant de s'installer devant le pupitre, parce qu'il l'a fait si souvent. Il a précisé que la veille, à Marseille, il l'avait bien lu, peut-être parce que la rencontre avait lieu la nuit. En cette fin d'après-midi, il ne faisait pas encore nuit.

    Tour à tour cabotin - suscitant sourires et rires dans l'assistance déjà conquise -lyrique, grave et solennel, il appuyait de ses belles mains -paumes vers le sol, doigts écartés - l'alexandrin binaire, balancé, cadencé de Hugo. Le public était séduit. Denis Guénoun et Anne Roche aussi. Sous le charme, tous, de Pierre Michon, au point de vouloir faire partie de sa secte des Boozistes. On voulait bien le croire, qu'ils étaient quelques-uns à être des monomaniaques de ce poème, qu'on connaît surtout comme vivier de figures de style, qu'on méconnaît cependant. Il faut lire tout de suite après ce qu'écrit Michon dans Corps du roi à propos de ce poème, en ayant encore dans les oreilles le timbre et la rythmique de sa voix:
    Il n'est peut-être pas indifférent de dire le peu qui se passe dans ce poème, d'après ce que j'en comprends: un homme dort une nuit de battage ou de moisson. Il dort à la belle étoile. C'est dans les temps bibliques. L'homme qui dort est un moissonneur et un peu plus qu'un moissonneur, le maître de la moisson, un gros propriétaire, un latifundiaire. Le grain ruisselle. Cet homme est veuf, sans enfant, très vieux. Il accomplit le bout du parcours dans les formes, sans ressentiment. Il fait un rêve: il y voit sous la forme raide d'un chêne qui lui pousse au ventre, une érection juvénile et une longue descendance très illustre. Il n'y croit pas, il sait qu'il rêve. Il a tort: pendant qu'il dort et rêve, une Étrangère qu'il a embauchée comme glaneuse, une très jeune femme, s'est couchée près de lui, a dévoilé sans ambiguïté sa poitrine, et attend son bon plaisir. Les yeux ouverts sur le ciel, elle se pose une question sur l'origine de la lune.
    Voilà ce que tout le monde y peut entendre: l'engrangement des blés, l'engendrement impossible mais probable, le sommeil des hommes et la veille volontaire des femmes, la lune et les étoiles dont on ne sait pas vraiment comment c'est fait.
    J'interromps un moment Pierre Michon, bien que la suite vaille la peine (et l'avant, et l'après), pour donner la parole à Denis Guénoun, qui s'est intéressé au pendant féminin de l'histoire, à Ruth donc. On lui avait demandé d'écrire un spectacle centré sur la relation entre deux femmes et il s'est souvenu d'une image dans un livre d'enfant réunissant Ruth et Noémie. Il a relu "Le Livre de Ruth", un livre à part dans l'Ancien Testament, par sa brièveté, une nouvelle,  par l'exception d'un nom de femme dans le titre, et parce que c'est un livre -exception aussi dans cet immense western biblique- débordant d'une énorme bonté. Or, Guénoun tentait de trouver une solution à cette problématique: comment écrire une pièce de théâtre sans faute? Encore un tic de fils d'instit, a-t-il dit en souriant à Michon, lui aussi fils d'instit. 
    Ruth, la Moabite, l'étrangère, suit sa belle-mère Noémie dans son pays, veuve de son fils. Elle n'est pas très bien accueillie par les moissonneurs et voilà ce que dit Booz dans la pièce:

    Celle-ci va glaner derrière vous. Vous la laisserez glaner, derrière vos gerbes. Vous lui parlerez avec décence, et considération. 
    Et elle pourra glaner aussi entre les gerbes. Derrière, mais sur les côtés aussi. Et vous n'y verrez pas d'obstacle, ni ne lui ferez aucun affront: vous la laisserez glaner son grain, autour, avec bienveillance, le coeur ouvert, et consentant. 
    Et même, vous tirerez hors des gerbes quelques brassées à laisser tomber. Vous abîmerez un peu votre travail, pour qu'elle en profite. Elle les glanera, et vous ne la repousserez aucunement. Vous serez souriants, approbateurs. 
    Laissez parler la vieille bonté qui sommeille, tapie dans les recoins du ventre. Laissez faire. Laissez passer l'ancien sourire du peuple. celui de votre mère, qui vous léchait le cul comme une ourse quand vous grelottiez sous ses dents. 
    Mange, ma fille, mange. Repais-toi, tu as faim. Il faut manger, pour l'ouvrage. Le jour est long, les blés sont lourds. Mange. rassasie-toi. 
    Que te protège et t'abrite sous ses ailes l'esprit du peuple que tu bénis de ta fuite. 
    Ruth éveillée, 2, "Au repas", p. 23, édition "Les Cahiers de l'Égaré"
    C'est un très beau texte à méditer par les temps qui courent... Le comédien qui a lu cet extrait, ainsi qu'un autre, s'appelle Stanislas Roquette (un peu trop illustratif et séducteur, mais bon). Il faut vraiment lire (après avoir tanné votre libraire pour qu'il le trouve) ce texte beau et bon (mais pas mièvre) comme un beau et bon pain. Ainsi quand Ruth s'offre à Booz, lui étonné, à peine réveillé a encore cette parole: 
    Sois bénie par la grande fougue des cieux, Ruth, ma fille, ma décidée.
    Cette dernière bonté que tu montres dépasse encore la première.

    Pierre Michon a souligné les deux questionnements au centre de ce texte: d'où vient Dieu? D'où viennent
    les enfants?
    Ensuite il fut question d'un point de divergence très complice, très tendre, entre les deux écrivains à propos
    de la notion de péché, mais je suis trop longue et je veux en garder égoïstement un peu pour moi.
    Je crois me rappeler qu'Anne Roche a conclu l'entretien en parlant de la richesse de ce texte, de cette très
    belle histoire de métissage. Et cette soirée témoignait d'un très beau métissage entre deux écrivains,
    adorateurs du Booz endormi, mais aussi s'appréciant, ne cherchant pas à s'écraser l'un l'autre, de très
    bonne compagnie décidément. On a bu du petit lait à la Laiterie. Ce fut un régal.derniers billetsderniers billetsderniers billets

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