• derniers billetsJ'ai assisté hier à un viol et à un meurtre, sous le violent mistral, au cinéma "La cigale". Seulement j'ai peur de n'avoir vu que du vent. Je parle de théâtre bien sûr. C'était courageux pour l'atelier théâtre du village de se risquer à jouer autre chose que du boulevard ou de la comédie pour rire. En choisissant Au vent mauvais de Thierry WURTZ, c'est choisir d'aller jusqu'au bout de sa violence, c'est un engagement comme un autre, mais il faut vraiment y aller. Or là, je n'ai vu que des gestes et des mouvements retenus pour ne pas trop heurter les spectateurs. Pourtant les spectateurs avaient été prévenus de ne pas amener les enfants (deux seulement dans la salle) et les acteurs auraient pu aller plus loin. Le plus insupportable: voir une femme affublée d'un gros ventre jouer un homme, qui plus est dans des scènes de harcèlement sexuel, en singeant tous les clichés d'un homme détenant le double pouvoir de la force et de la fonction (directeur des ressources humaines), c'en était presque comique... Dommage, car il y avait des choses intéressantes aussi, à commencer par le jeu des deux acteurs principaux, Monsieur et Madame Mistral. Emouvante, cette jeune femme à l'allure fragile de poupée, broyée par une société totalitaire et impitoyable et qui suggère à son mari de la tuer, ce qu'il fera par amour pour elle après son viol - et c'est une des plus belles scènes, celle du meurtre, sans mots inutiles, du couple enlacé nous ne voyons que le dos de l'homme et ses bras et ses mains à elle, si vivantes et si belles, et puis qui s'abandonnent avant d'abandonner... Le jeu du mari, assez convaincant également, d'abord dans son aveuglement à voir sa complicité dans son avilissement même face à ce DRH sans scrupule, puis dans son combat à ne pas perdre les mots, l'écriture, le "crire", le "crore" dit-il...

    Quant au texte, il faut bien dire quelques mots de l'écriture. Texte très inégal, avec de très beaux passages, notamment sur l'appauvrissement du langage, sur le conditionnement des médias (l'omniprésence des écrans, on pense bien sûr à 1984, Farenheit 451) et sur l'amour, complet, corps et âme, malgré tout qui transgresse tous les interdits... Mais également, des choses très lourdes, beaucoup trop explicites (on nous prend pour des cons), des portes ouvertes enfoncées, sur les interdictions de la société actuelle, qui frisent la caricature mais sans la revendiquer malheureusement. Bref, spectacle quand même intéressant, le tout avec les rafales de mistral, s'acharnant à pénétrer par le plafond, furieux de n'avoir pas été invité, lui qu'on ne cesse d'invectiver pendant toute la pièce: "Du vent, monsieur Mistral!!!"

    Aujourd'hui, spectacle de danse de ma nièce à Nîmes. Journée famille avec fils, soeur, nièces, quant au mistral, ne le réveillons pas, ô vent mauve et...

      

      


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  • derniers billetsDernier jour avec les élèves, dernière après-midi de révision avec les troisièmes, "Barbara" et Prévert. Et puis on a lu "Liberté" d'Eluard, comme ça, sans trop l'analyser, juste parce qu'après le brevet ils seront bientôt en liberté, libérés du collège et des corvées. Chacun d'entre eux (sauf Prévert et Eluard) m'a écrit un petit mot sur le carnet-bleu-chat. Personne n'a versé sa larme mais l'émotion était là, palpable. Je n'ai lu les mots que rentrée à la maison. Ai continué à feuilleter le carnet avec mes notes de lecture, mes dessins maladroits, mes pastels qui apportent moins de lumière que de surcharge de matière à mes illustrations. Se rappeler que le pastel est d'abord une plante, l'isatis, dont on tirait autrefois un colorant  bleu-indigo. La consistance du pastel ne me convient pas vraiment et depuis la tentative de reproduire un tableau de phare de Hopper, je suis passée à l'aquarelle avec l'excuse de la rapidité. Ai retrouvé les mots du roman qui m'a donné l'envie d'explorer le Cotentin et les entours de La Hague (que jusqu'alors je n'associais qu'à la centrale nucléaire), je veux bien sûr parler des Déferlantes de Claudie GALLAY dans lequel les oiseaux de la réserve et la mer sont des personnages aussi importants que Raphaël, Max ou Morgane. Quelques extraits donc.

    Une carte postale de Hopper entre les pages d'un livre, une fille à une table, dans un café. Les murs peints en vert. J'ai rangé le livre, j'ai gardé la carte. p.21, Claudie GALLAY, Les Déferlantes, éd. du Rouergue, coll. "la brune", 2008.

    Il fallait que je range l'appartement et que je profite aussi de cette pluie pour repeindre les murs. En vert Hopper, le même vert que celui du tableau. Je m'étais dit ça. La carte était punaisée contre la porte. J'aurais pu aller acheter la peinture, mais il pleuvait trop pour aller à Cherbourg. p.78

    Pendant que je passais la peinture, des gouttes sont tombées sur les journaux. Quand je suis redescendue de la chaise, j'ai marché dans les gouttes. Après, j'ai vu qu'il y avait des traces sur les marches. Du vert Hopper en empreintes. J'ai posé le pinceau sur les journaux. La couleur a séché. J'ai gardé le papier. J'ai dit que j'allais continuer à peindre les autres murs. p. 223

    Je me rends compte que je n'ai rien noté sur la mer, uniquement ces notations sur le vert Hopper -duquel j'ai été obsédée tout l'été à en rechercher la nuance exacte avec mes grossiers aplats de pastels gras- et quelques lignes sur la drôle de manière de parler de Max: Les mots sont l'invention-sentence des hommes. Avec RAphaël, on s'est regardés. On a opiné de la tête. Après les nominations-preuves, on trouvait que Max partait très fort pour un lendemain de tempête. Ou encore: Il a touché le dictionnaire et puis il l'a pris, il l'a serré contre lui. - Tous les mots du submersible langage? c'est ce qu'il a réussi à balbutier. p. 443. 

    Reprendrai ma liste de lectures pour l'été, demain;

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    Alors que l'année scolaire se termine, envie de sortir mes aquarelles, mes gouaches et mes pinceaux pour occuper ma vacance (Bonne Vacance, ont écrit les élèves sur le tableau, tant le pluriel leur semble singulier) et aussi continuer la compilation des textes sur la thématique de la mer, commencée l'an dernier. J'ouvre mon carnet noir sur une de mes premières gouaches pour illustrer un  très beau récit de Jacques-Pierre AMETTE, Journal météorologique, éd. des Equateurs, 2009. Il me semble que ça se passe en Bretagne et en retranscrivant ces quelqes phrases, il me vient l'envie de le relire...

    17 juin. Flaque de lumière sur la baie. La poussée lente de la marée soulève la flottille des barques. Envie de voir marcher des apôtres sur les eaux. Voir quelque chose d'invisible.[...] La baie: une étendue tranquille avec quelques obscurités. Ce qui dort du passé, de l'avenir, sous cette nappe d'eau. Les reflets circulent. Paupières closes, passions emmurées et jamais dites, chaque été; divinations macabres gardées pour soi et vision édénique de moutons de Panurge qui inlassablement sautent dans la mer; ils se précipitent dans les vagues avec joie; ce sont des illusions perdues qui nous quittent et nous allègent. J'entends, à la même heure, chaque soir, des voix d'amis qui parlent derrière le portail avant de tirer la sonnette et je pense à Swann. p. 45

    Dans ce trou d'obscurité, on voit voleter des particules dorées. On entend la mer comme un fond sonore lointain, régulier, assez doux et apaisant, quelque chose de glissant et d'à peine perceptible, insistant, régulier, fugitif. Et soudain, ça diminue, ça s'étire, ça se calme et fond dans un absolu moment de silence. Puis la battue contre les rochers reprend, les aspersions, les giclements, la vaste dispersion écumeuse qui s'engouffre entre les galets, les pierres, les éclats rocheux. C'est alors comme si une immense verrière s'effondrait.

    Pour l'instant, je suis dans la pleine bousculade de l'océan. Avec des tourbillons et des descentes d'ombres qui dévalent et aspirent, c'est le grondement du grand nettoyage écumeux, ces lourdes vagues qui montent, pèsent, s'affalent puis s'étalent, rincent, lavent. Dans une sorte de soudain crépuscule, des bourrasques d'un vent froid crépitent et apportent une ruée de grêlons qui roulent et rebondissent comme des billes folles sur la route. pp. 118-119

    J'ai dû lire ce récit il y a deux ans et je me souviens vaguement d'une femme qui accompagne le narrateur à la fin de l'été, dans sa maison avec vue sur la mer, d'un ami qui partage avec eux quelques soirées, d'une pluie inopinée; mais surtout de ce style qui rend si bien les éléments déchaînés, le vent et la mer. Débauche de verbes, d'allitérations et d'assonances...

      

      

      

      


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    Sur une photo d'Alain Fort (voir mistragale)...

    Plonger dans les yeux de la mer

    Nager dans les couleurs primaires

    Bleu, jaune, vert, outremer

    Chercher les gouffres amers

    De Baudelaire et trouver la lumière

    De nouveaux vers

    Plonger dans les yeux de la mer

    L'embrasser, l'enlacer, la marier,

    Plonger dans les yeux de la mer

    Pour y lire ce qu'on vient y chercher

    L'infini recommencement...

      


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    Un tantinet nuageux. Poids lourd du ciel et de cette fin d'année. Aller en classe en pensant à des nombres. Combien seront-ils, cette fois? Une  vingtaine (comme les sixièmes et les cinquièmes), une dizaine (comme les troisièmes) ou encore moins (comme les quatrièmes mardi dernier)? Et chaque fois c'est un peu moins encore. Avec les jeux d'énigmes et de lettrenrébus, voir certains élèves plutôt réservés s'animer. Ainsi, lorsqu'après avoir tracé le mot GOUTTES au tableau avec entre chaque lettre un C barré, j'explique qu'il s'agit d'une expression à trouver;  M. lève le doigt plusieurs fois pour proposer "goutte à goutte", "goutte au nez", "C pas goutte", je l'encourage, persuadée qu'elle va finir par trouver mais c'est un autre qui trouve l'expression "passer entre les gouttes". Même schéma avec ce lettrenrébus:

    PEUR MAL PEUR

    MAL PEUR MAL

    PEUR MAL PEUR

    M. y est presque, aujourd'hui, c'est elle qui participe le plus, elle lance: Cinq "peur", quatre "mal". Je dis, sourire aux lèvres: Donc, il y a plus de... M. bloque, ne comprend pas ce que j'attends. Là encore, c'est un autre élève qui hurle: Il y a plus de peur que de mal. Je regarde M., les yeux éteints soudain, qui ne saisit visiblement pas la signification de l'expression ni de celle d'avant ni de ce qui vient de se passer pendant toute l'année, elle, qui ne comprend toujours pas ce qu'est le sens figuré.  

    Partager ainsi cette fin d'année entre moments de découragement et d'émerveillement. Savourer ces coïncidences de lecture qui mettent sous mes yeux des rêves de nuages. Deux récits que tout oppose: longueur, public, auteur... D'abord, Le Coupeur de mots de Hans Joachim Schädlich, linguiste et écrivain qui a connu l'exil (de RDA) et l'expérience du totalitarisme; dans ce court récit prêté par une collègue et destiné à une classe de sisième (G. si tu me lis, je te le mets dans ton casier demain) parle du langage mais au tout début d'un petit Paul pas pressé d'aller à l'école: La première chose que voit Paul est un arbre blanc géant qui flotte dans le ciel au-dessus de la tête de Paul. Un arbre-du-ciel qui flotte, se dit Paul. Un arbre géant, blanc. Un arbre blanc, géant. Un géant du ciel, un arbre blanc. Un arbre géant, blanc, dans le ciel. Au bout de sept pas -Paul va très lentement-, l'arbre est un éléphant. Six pas plus loin, l'éléphant est une locomotive. Cinq pas plus loin, la locomotive est un lit. le vent fait du nuage ce qu'il veut: un arbre-nuage, éléphant-nuage, locomotive-nuage, lit-nuage. pp. 17-20, éd. Castor Poche. Diamétralement opposé, le récit que je lis depuis quelques jours: Le Siècle des nuages de Philippe Forest, qui parle de son père aviateur né avec l'épopée de l'aviation, et qui voit donc les nuages du haut de sa cabine de pilotage: Chaque cumulus accroché sur la page bleue du ciel comme un test de Rorschach pendu au mur dans le cabinet d'un psychiatre, sollicitant spontanément l'interprétation de celui qui l'observe, lui révélant sans qu'il le sache le secret de sa vraie nature, la forme de nuage son désir, et qui prend l'allure de tout et de n'importe quoi: une baleine, une belette, un troupeau de petits animaux pressés les uns contre les autres, paissant l'atmosphère, et sur lequel veille un géant dressé de toute sa taille, deux amants allongés côte à côte parmi un fouillis de draps chiffonnés par la nuit, une enclume immense comme un continent et sur laquelle se tiennent, juchées sur ces sommets des villes aux architectures irrégulières avec des cheminées d'usine, des pointes de minaret, des coupoles et des clochers émergeant vaguement au-dessus des remparts. Le domaine de l'ogre, avec ses terreurs et ses trésors, vers lequel, dans les contes, vont les enfants imprudents et où toutes les fables d'autrefois prennent les formes qu'on leur trouve. pp. 468-469, éd. Gallimard, 2010.

    Ce ne sont pas les nuages en eux-mêmes qui m'émerveillent, mais la rêverie qu'ils suscitent chez tant d'entre nous un tantinet rêveurs, un tantinet hors du monde, hors du monde commercial en tout cas, un tantinet obsolètes...

      


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