• qu'est-ce qui se passe?

    Zoom sur les rondeurs du Luberon au loin. Revenir à une vue plus serrée du bâtiment. Entre les bâtiment D et A, à 8h27 tout est calme et l'on s'apprête à prendre une nouvelle photo lorsqu'une voix d'adulte se fait entendre. Qu'est-ce qui se passe là? demande la voix à cheveux longs. On se rend compte qu'il s'agit de l'intendant, celui qui le premier jour, vous a donné le passe ouvrant les salles et le badge permettant d'entrer dans le parking. On se sent bête et pris en faute. Qu'a-t-on fait de mal? On n'a pas le droit peut-être de prendre des clichés de bâtiments publics. On se souvient d'un coup qu'à cinquante ans, l'adolescence touche à sa fin. Et l'on sourit crânement, on fait la bise - C'est quoi ton prénom déjà?- on sort une énorme banalité: La vue est si belle, je voulais garder une trace pour me rappeler la chance de travailler ici. On se dirige vers la salle A306.

    qu'est-ce qui se passe?









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    prise de

    Première prise de contact avec une classe de quatrième aujourd'hui dans une heure. Prise de tête à éviter et pour eux et pour moi. Prise de coliques ou par un fou rire? Serai-je comprise ou prise pour une con? Y aura-t-il mépris ou méprise sur la personne, eux sur moi et moi sur eux, eux me prenant pour ce que je parais et moi les prenant pour ce qu'ils paraissent. Danger! Attention à la traversée des apparences! Oui, mais pour une prise de contact comment l'éviter, bien obligé(e)(s) de s'appuyer sur quelque chose... Ai revu en esprit mes odieux quatrièmes de l'an passé et mes gentils troisièmes, en m'apercevant que j'avais presque oublié tous leurs prénoms. Mon sac est prêt, pas ce que je vais dire. Me promets de ne pas faire les mêmes erreurs que l'an passé: ne pas trop sourire, ne pas faire de fiche sous forme de jeu-du-portrait-à-lire-ensuite-à-voix-haute-chacun-essayant-de-reconnaître-de-qui-il-s'agit, ne pas les endormir en leur annonçant le programme de l'année...

    Prise du manuel en main, hésite encore entre l'étude de l'extrait de Loup de mer de Jack London ou d'une nouvelle de Maupassant que je lirai sans qu'ils aient le texte sous les yeux. Prise de bégaiements, prise de cours devant des questions ou des remarques incongrues, prise d'une envie de fuir, prise de quoi?... Éviter à tout prix la prise de poids en tout cas et la prise d'alccol réconfortant après les cours. Ce billet aura évidemment une suite, mais d'ores et déjà il y aura prise de risque, un premier cours qui se trouve être pour eux le dernier du premier jour, faut voir. Cette année, les faire écrire un quart d'heure à chaque cours (à cet effet j'ai acheté une montre pour chronométrer et ne pas me laisser prendre par le temps). L'idée serait de faire un journal de classe sur un blog. Mais il est l'heure...

    Au retour du collège, elle reprit la troisième personne en même temps que la distance nécessaire entre soi et le monde. Elle avait donc fait connaissance avec la quatrième 2, prise de contact plutôt rassurante; d'emblée, elle avait mis les points sur les i en instaurant les règles de prise de parole. Qui la veut, la demande en levant la main. Chacun écoute celui -prof ou élève- qui l'a. La parole, elle l' avait prise un peu trop longtemps et avait surpris quelques baîllements. Elle avait aussi très vite repéré le pitre et la peste de la classe, qui remis une ou deux fois à leur place, n'avaient pas insisté. Elle connaissait dorénavant leurs prénoms. Elle avait repéré deux rangs d'élèves plus petits que les autres, encore très cinquièmes, et plus effacés. Une nouvelle avait été signalée, très timide, et avait fait une crise (d'épilepsie?) le matin même d'après le prof principal. La sonnerie avait retenti avant qu'elle ait pu lire le texte de London. Postée à la porte, elle avait salué chacun des élèves et presque tous lui avaient dit au revoir. Prise de contact plutôt bonne. Le lendemain, elle aurait sa deuxième classe de quatrième. Elle savait déjà qu'elle aurait une préférence, mais elle ferait tout pour l'éviter.



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  • couleur- Je ne sais pas, c'est plutôt pour les murs, non? Et puis je vous ai dit que je voulais me dégriser la tête, c'est-à-dire m'enlever tout cette grisaille à l'intérieur et à l'extérieur, alors gris taupe, je ne suis pas sûre... Pourquoi pas passe-muraille, pendant qu'on y est... Non, non, je ne suis pas fâchée mais je partirais plus sur du rouge, voyez-vous, pour me dynamiser un peu, me donner du courage en cette rentrée maussade... Pardon? Ça ne se fait plus trop maintenant? Violine, vous dites? Alors là, pour le coup, à mon âge, je préfèrerais ne pas convoquer les violons... Je me comprends, mademoiselle. Non, je crois qu'on va revenir au naturel, caramel, noisette ou chocolat... Non, pas chocolat noir, mademoiselle, je m'offre un peu de douceur chaque soir avec un carré à 86% de cacao minimum, mais pour les cheveux, c'est un peu trop foncé, ça me durcit les traits... Comment ça, on allonge les pointes? Mais bien entendu mademoiselle, il faut traiter le mal de la racine jusqu'aux pointes et cacher ce soleil que je ne saurai voir... Oui, mademoiselle, on dirait des mèches, ces cheveux décolorés par le soleil, mais je ne veux plus les voir... Aahhhhhh! Vous m'ébouillantez là, faites un peu attention... Vous dites ne rien sentir avec vos gants, mais vous devriez en prendre davantage avec vos clientes, si vous souhaitez les garder... Non, je ne fais pas d'humour sur votre dos, je ne me moque pas de vous, pas du tout. Calmez-vous enfin! Pardon?... Ça alors, je ne vous aurais jamais reconnue Élodie, il faut dire que depuis toutes ces années, il en a coulé de l'eau... Mais non, Élodie, ce n'est pas à cause de moi que vous avez redoublé votre quatrième. Bon, écoutez, pour la couleur, je vais réfléchir, j'ai encore deux jours avant la rentrée...



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  • deux lunes

    Fermant les yeux, elle les revit comme si c'était hier. Deux petits croissants de lune sur une presqu'île, l'un rose vif et l'autre déjà dans l'ombre de la fin du jour. Au dessus, un amas de cumulus traversés par la lumière oblique du soleil mettait une touche finale au tableau de cette marine. Une période définitivement révolue. La mer apparaissait toujours comme un mirage après toute cette étendue de sable qui ne semblait jamais finir. Mais toujours elle apparaissait. Après le chemin de sable, au détour d'une dune ou d'une autre, la voiture ne sentant plus de frein, plus de conducteur, n'ayant plus aucune borne à sa vue, s'en donnait à coeur joie jusqu'à toucher la mer à s'en éclabousser de bonheur.

    Elle se souvenait de ce dernier moment, celui du départ. Ils ne parvenaient pas à quitter la plage, ne pouvant se résigner à laisser cela, la beauté sauvage de ces grands espaces. Elle avait aperçu cette fille en maillot deux pièces qui marchait vers la mer. Un peu plus tôt dans l'après-midi, ils s'étaient baignés eux aussi, mais il avait fallu marcher longtemps avant de trouver assez de profondeur pour pouvoir nager. La fille allait d'un pas décidé, sa silhouette déjà réduite considérablement s'avançait dans la mer, l'eau lui arrivant à mi-mollets. Un chien aboya. Ils s'étaient tournés vers la source du bruit et avaient aperçu une famille avec des enfants, penchés sur le sol à l'affût de coquillages. Pour eux aussi, ce serait bientôt terminé. Ils avaient  encore suivi du regard les voiles des kite-surfs dans le ciel. La fille continuait à marcher, l'eau à mi-cuisses. Rien ne semblait devoir finir: l'espace, l'avancée de cette fille, la journée même...

    Pourtant, tout avait pris fin avec la nuit. La pause qu'ils s'étaient octroyée, la trêve dans cette guerre terrible qu'ils avaient arrachée de leurs dents, était arrivée à son terme; la lutte continuait et ils avaient dû repartir et rejoindre leurs frère, les emmurés.

                                    (illustration: photographie de Philippe Marc)



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  • Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."

    J'accueille aujourd'hui un texte de Lautreje dans le cadre des Vases communicants. Lautreje est l'une des premières "inconnues" à m'avoir encouragée via des commentaires parfois indulgents, parfois enthousiastes, toujours chaleureux. Elle vient me lire tous les jours, je fais de même sur ses deux sites: Lautreje et Entre-temps. Que j'accepte son invitation à participer à ces premiers vases communicants allait de soi. Nous avons écrit chacune de notre côté à partir de la photo ci-dessous et du mot Invitation. 

    Vases communicants

    Invitation - Lautreje

     

    J’avais accepté l’invitation. Pas pour eux, mais pour elle. Il y avait trop longtemps que je ne l’avais pas vue, je me languissais de nos confidences. Sa patience me manquait autant que son écoute. Elle était capable de tout entendre de moi, je le savais, je lui disais des choses que je n’avais jamais dites à personne, mais à elle je pouvais, c’était mon amie et c’est toujours mon amie. Pourtant le temps filait sous mes doigts et dans mes veines. Pourtant le temps disait « Loin des yeux, loin du cœur », je tisse ma peine. Et pourtant je pouvais venir n’importe quand, je savais qu’elle m’attendait, fidèle, sans jamais m’attendre, toujours présente, elle me prenait quand j’étais là et me laissait repartir après un dernier baiser envolé.

    Mais un tel amour a un prix, je lui devais ma vie, sans elle, il y a longtemps que je serais morte, morte dans ses bras peut-être, mais morte en tout cas. Elle a su trouver les mots pour me consoler et cela je ne l’oublierai jamais. Et voilà que cette invitation me permettait de la revoir, j’appréhendais nos retrouvailles, timides sans aucun doute, quoique peut-être me jetterais-je à son cou les joues ruisselantes de joie, peut-être serais-je pétrifiée, l’émotion peut faire cela parfois, peut-être attendrais-je le matin pour lui rendre visite.

    Je sortirai de la pièce les bras chargés de mes vêtements préparés la veille, doucement je fermerai la porte de la chambre, les pieds nus je descendrai l’escalier de bois, c’est la troisième ou la quatrième marche qui grince, je ne sais plus, puis arrivée au rez-de-chaussée, les pieds sur le carreau glacé me viendra l’urgente envie de faire pipi, j’enfilerai mes chaussettes à toute vitesse, mon pantalon, ma veste puis ma polaire, dans le placard de la cuisine au dessus de l’évier, je prendrai un morceau de pain, mordre dedans le temps d’aller aux toilettes puis très vite glisser les pans de mon long tee-shirt de nuit dans mon pantalon, zipper ma polaire, une écharpe de coton autour du cou, et voilà je pars vers toi, je remonte la rue jusqu’au chemin des Alouettes là en contrebas le long de la maison de Fernand, j’arrive, attends-moi, je viens ! Mes cheveux au vent, mon pas s’accélère, je cours presque sur les cailloux qui peu à peu laissent la place au sable envahissant, je cours vers toi et enfin je t’aperçois, Dieu que tu es belle ! Bientôt le chemin s’élargit mes chaussures laissent un bruit sourd sur les planches de bois, je n’ai d’yeux que pour toi, enfin te voilà !


    Accéder à la liste des Vases communicants de septembre.




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