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    l'assomption de Marie-Line

     oeuvre du sculpteur hyper-réaliste Ron Mueck


    - Non, mais tu le crois, ça, toi, Ephrosine?

    - Ben oui, la Marie-Line, elle a jamais pu rien faire comme tout le monde, alors même son enterrement, il fallait que ça tombe un 15 août! 

    - N'empêche que ça se fait pas de monter au ciel le même jour que la Sainte Vierge. Le curé est trop feignasse pour faire deux cérémonies. Question vestimentaire tu  aurais pu faire un effort, quand même...

    - J'allais pas me mettre en frais pour cette commère, et puis quoi encore! Pourquoi tu rigoles?

    - T'as vu la tronche des anges qui soulèvent le cercueil? C'est qu'elle pesait son poids la grosse Marie, avec tous les loukoums qu'elle avalait ces dernières années... Je vous salue Marie pleine de graisse...

    - Tais-toi donc Séraphine, tu blasphèmes là!

    - Je parle pas de la Vierge... Oh, ce que t'es rabat-joie! Pour une fois qu'on est de sortie! Pfff, pfff.... Non mais t'as vu comment ils transpirent? Faut dire que c'est pas pratique, ce cimetière haut perché. Le caveau de famille sera au complet cette fois-ci, c'est déjà ça. Parce que mes vieilles jambes, elles en peuvent plus.

    - C'est vrai que la prochaine fois, ce sera peut-être toi qu'on portera là-haut, bien confortablement installée dans ta boîte. Pfff, pfff... Elle a pas eu de chance, tout le même, la Marie-Line... Perdre tout son monde comme ça en si peu de temps... Son fils surtout... Pfff, pfff, ouh, j'en peux plus, ça monte raide...

    - T'exagères, il a pas été crucifié, lui! Il n'est même pas mort...

    - Pour Marie-Line, si... Rappelle-toi: quand il s'est converti à l'islam, elle a fait passer une petite annonce annonçant son décès. Elle a même soudoyé le curé pour faire une messe à Pâques. C'est à partir de là qu'elle s'est réfugiée dans la boustifaille. Les loukoums surtout.

    - J'avoue que j'aurais fait pareil si j'avais un fils qu'était devenu intégriste... Pfff, pfff, ça y est on arrive au cimetière, enfin.

    - Tous les musulmans sont pas intégristes, Séraphine, c'est même plutôt le contraire. 

    - C'est quoi le contraire de ta phrase?

    - Quelle phrase?

    - Celle sur les terroristes.

    - Tu perds la tête ma pauvre Séraphine. Chut, tais-toi, on nous regarde. C'est qui?

    - Pas des gens d'ici en tout cas. Regarde-les. Ils nous envisagent comme des monstres de foire.

    - Dévisagent.

    - ???

    - Pas "envisagent", "dévisagent".  Ils nous dévisagent comme des monstres de foire. Ce sont pas des Chrétiens, en tout cas...

    - T'as vu comme ils sont grands? Et puis ils tournent autour de nous ... Ah, il y en a une qui m'a touchée, j'ai peur Ephrosine... On est peut-être déjà mortes et ce sont les anges qui viennent nous soulever pour aller au ciel...

    - N'y compte pas trop, je crois plutôt que t'es destinée à brûler en enfer et puis écoute-les; ils n'arrêtent pas de dire qu'on a l'air si vivantes... ne bouge pas, surtout...

    (Désolée, n'arrive pas à toucher une chute digne de ce nom. L'assomption ne m'inspire pas et la canicule est revenue...)




      



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  • Echo ainsi danse Alors voilà. Cela continue. Après Boltho Strauss, Shakespeare et Ovide, nouvelle coïncidence, nouvelle rencontre livresque avec le mythe de Procné et Philomèle dans le deuxième chapitre du Quart Livre de Rabelais. Ce qui n'est pas étonnant, intertextualité oblige, mais ce qui l'est plus et même mirifique, c'est qu'une lecture nouvelle à chaque fois en est donnée. Dans le cas de Rabelais, il s'agit de s'amuser sur la peinture des idées. C'est au début du voyage (la quête de la dive bouteille) de Pantagruel, de Panurge, et de leurs compagnons, lorsqu'ils font halte sur l'île de Medamothi (signifiant "nul lieu" en grec et donc proche de l'utopie) où ils achètent de belles choses. Panurge achète un grand tableau reproduisant la tapisserie faite par Philomèle pour expliquer à sa soeur Procné comment son beau-frère l'a violée puis lui a coupé la langue. Premier indice sur le pouvoir de la peinture à représenter même l'irreprésentable. Un peu plus loin, après l'achat d'un tableau représentant les idées de Platon par Epistemon, c'est Rhizotome qui achète une représentation d'Echo...  

    Hormis le jeu et l'ironie de Rabelais, les deux mythes se rapportent à la parole. Deux femmes mutilées, empêchées de parler mais qui se débrouillent pour se faire entendre tout de même. (Dans le Titus Andronicus de Shakespeare, Lavinia réussit aussi avec ses moignons à écrire le nom de ses violeurs.) Des trois, Écho paraît la plus mal lotie: au départ, c'est juste une nymphe qui invente et raconte très bien les histoires et c'est pour cela qu'elle va être punie par la reine des déesses, Héra. Elle la condamne à répéter uniquement la fin des phrases des autres. Ainsi quand ce dandin de Narcisse perdu dans la forêt, commence à paniquer et demander s'il y a quelqu'un ici, elle ne peut répéter que: "Ici, ici, ici". Léger pour entretenir la conversation... Tout ça pour quoi? Parce que Zeus lui avait demandé de distraire Héra en lui racontant des histoires pendant qu'il allait courir la gueuse... Écho, c'est un peu l'inverse de Shéhérazade. Alors je me prends à rêver, à elle et à toutes ces femmes (nymphes) bafouées par ces hommes (rois, dieux) qui doivent trouver une libre parole, une autre parole, une écriture nouvelle pour raconter des histoires. Si Écho avait dansé comme Salomé, elle n'aurait peut-être pas réussi pour autant à séduire ce crétin de Narcisse, mais au moins elle n'aurait pas dépéri tel un perroquet déplumé. Elle aurait compris que la danse pouvait alimenter son désir tout aussi bien, voire mieux, elle aurait raconter des histoires avec une langue nouvelle. Et moi, en écrivant, parfois, je suis un peu Procné, Philomèle, Lavinia mais aussi Tamora ou Médée ou Salomé, Écho et toutes les femmes qui osent dire je. Il me faut juste trouver les mots et les mettre dans un ordre nouveau, mieux: les faire danser.

    Écho ainsi danse et dansera toujours.




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  • Brasser de l'air avec des bras plumes au point de sentir douleur dans trapèze du dos et penser en même temps au trapéziste. Se dire que sa vie ne fut que, n'est que, du vent ou remuement d'air n'aère pas pour autant la conscience du peu de soi. Peu d'autrui dans son soi. Pas d'effet sans cause. Pas de fumée sans feu. Pas de farine sans blé, sans moulin et sans meunier. Rien de tout ça dans la Corne de l'Afrique. Seulement les yeux trop grands des enfants plumes et le sable pour les recouvrir les yeux fermés. Trop de misère tue la misère. On ne peut pas porter toute la misère du monde, disent-ils. Qu'est-ce qu'on peut faire? Trop de trop et pas assez pour tout le monde? Ils font vibrer l'air avec leurs paroles creuses puis creusent les trous. 

    Toutes sortes de trous. Alors, répètent-ils, que faire? Jouer les chevaliers à la triste figure et se battre contre les moulins à vent ? Ne pas donner de leçon, surtout pas. Mais peut-être apprendre à ne plus spéculer, à ne plus compter (ou alors les uns sur les autres), à écouter ce que disent les rêveurs, les utopistes, les littéraires. Commencer peut-être par dire peut-être. Et puis peut-être lire Don Quichotte et après Cervantes, Rabelais et Montaigne, et si on veut encore plus d'action et de violence, Shakespeare, et ... restaurer les moulins à vent... 




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  • humanibusPlusieurs têtes se tournèrent, réprobatrices, en entendant les cris qui s'échappaient du téléphone. Il avait bien fallu pourtant éloigner l'appareil de son oreille déjà malmenée par l'audition des groupes "metal" qu'il avait compilés sur son I-pod. Dire qu'il pensait avoir décroché le boulot en or, un travail tranquille qui lui laissait suffisamment de temps à consacrer à ses études et surtout à Mylène.

    Dan prit une grande inspiration, rapprocha le combiné de son oreille et c'est tout sourire qu'il s'adressa à sa cliente: Vous avez tout à fait raison, madame, mais je vous entends très mal... Pouvez-vous reformuler plus lentement votre réclamation, s'il vous plaît? D'abord, veuillez décliner votre identité et le numéro de votre carte... Mmhh, mmhh, 444 444 444, Madame Leblanc, oui, je vous ai sur l'écran, votre cotisation est en règle. Mais dites donc, je vois que vous êtes une de nos plus anciennes adhérentes et une des plus assidues, encore! (sourire). Vous empruntez au moins un livre par semaine, vous êtes une grande lectrice madame Leblanc (avec un sourire qui se voulait encore plus audible). Non, non... Je ne me fiche pas de vous Madame Leblanc, par... Pardonnez-moi, je suis nouveau, ici. Non... n...  NON, LE BIBLIOTHÉCAIRE N'EST PAS LÀ!!! Euh, pardon, mais il est difficile d'en placer une avec vous, madame Leblanc, ah, ah, ah... Heu, reprenons, alors je vois que vous nous avez emprunté le livre noir et que vous nous l'avez rapporté légèrement fatigué, hein, non, non rien de grave, il a vite été remis en rayon, mais pas pour longtemps, il est très demandé, il sort tout le temps... Ensuite, vous avez loué "L'homme de la banquise", j'espère que vous n'avez pas pris froid, ..., pardon? Oh, je plaisantais, madame Leblanc, je plaisantais... Ensuite, " Comment je suis devenu terroriste", euh, vous n'allez pas nous faire sauter la bibliothèque madame Leblanc, j'espère? Pardon?... Oui, j'y viens, j'y viens. C'est bien Victor que vous avez loué? Un article très demandé et vous avez déjà une journée de retard, madame Leblanc. Je vais être obligée de vous mettre à l'amende, non, je ne plaisante pas, madame Leblanc. Comment? ... hhmm, hhmm... mmmm... Vous estimez que vous avez été trompée sur la marchandise? C'est bien quelqu'un doté d'une conscience que vous aviez réservé? Je vous demande deux secondes, je consulte sa fiche... Oui, je vous confirme, c'est normal qu'il dorme tout le temps. Victor est actuellement au chômage et tout ce qu'il fait, il le fait toujours consciencieusement... Donc, il chôme. Mais ça change rien à l'amende, vous devez vous débrouiller pour nous le ramener et de toute façon vous n'échapperez pas à l'amende. A propos, on a une réservation là pour une dame plus toute jeune, qui n'a jamais rien fait de sa vie sinon emmerder celle des autres, ça vous intéresse?

    Cette histoire loufoque m'a été inspirée par la création d'une bibliothèque humaine il y a quelques années en Norvège ou au Danemark . Il s'agissait de lutter contre les préjugés en faisant se rencontrer pendant une heure des personnes qui n'auraient jamais pu se côtoyer autrement. Depuis, l'idée (que je trouve excellente) s'est développée au Canada et dans d'autres pays. 

    La photo d'illustration n'a rien à voir mais je l'aime bien...



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  • Ce matin au réveil, seul un mot surnageait du rêve: un adverbe, précisément. La stratégie dans ce cas consiste à ne pas ouvrir les yeux, à ne pas formuler de pensée, à tromper la conscience et lui faire croire qu'on dort encore. Tourner autour du mot, sans y réfléchir. Mais on a beau faire, on commence à creuser la matière et on se maudit de n'avoir ni stylo ni carnet sur la table de nuit. Complètement éveillée, on n'a plus qu'à ouvrir les yeux et formuler très nettement l'adverbe, plusieurs fois, pour le noter plus tard. Présentement, probablement, précipitamment?

    Malheureusement, on l'a oublié, lui aussi. On croit se rappeler qu'il commençait par un "p" et se terminait par un "-ment" et même qu'on s'était dit que ça pourrait faire un bon titre pour ce billet - de ça on en est sûr, même qu'on s'était dit que pour une fois on laisserait tomber les jeux sur les sonorités - du type "un possible ment (et un autre dit la vérité)" et peut-être bien est-ce possiblement finalement. On petit-déjeune, on essaie de lire quelques chapitres du Tiers Livre, lecture en pilotage automatique du blason de Triboulet, dans lequel Panurge donne la réplique à Pantagruel pour qualifier le fou de François Ier.

    f. souverain           f. boursouflé

    f. special               f. supercoquelicantieux

    f. métaphy...

    Les yeux reviennent en arrière "super- quoi"? Fou supercoquelicantieux. La note explique "superbe, magnifique, prétentieux". C'est à ce moment-là qu'on fait le rapprochement. Avec le rêve. La folie, c'est d'écrire avec déjà une idée au départ. Probablement que rêvant, on écrivait un texte parfait, tant dans la forme que dans le fond, dont il ne reste à la fin qu'un mot. Ce mot s'accompagne au réveil de la sensation merveilleuse d'avoir réussi à  dire quelque chose de juste, avec les mots justes et juste le nombre de mots - pas plus pas moins. Sans faire joli, surtout, ce qui serait supercoquelicantieux. Comme on l'a fait parfois. Cherchant la forme pour retrouver le fond, tout le processus de remémoration est faussé.

    Partant, mieux vaut encore cesser de chercher cet adverbe manquant, de penser à ce qu'on écrira plus tard, et de faire autre chose, peindre un fou par exemple. Sans jugement, sans sourire? Si, on a le droit de sourire...



     Possiblement et supercoquelicantieusement


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