• Pour être tout à fait juste, les deux morts se confondent dans mon souvenir. Je parle du mois de juillet 1982. J'avais un petit boulot d'été, à la banque Scalbert-Dupont. C'était le soir, je regardais la grande aiguille s'approcher du douze de ma délivrance avec une lenteur exaspérante, lorsque mon père entra. La chose était assez inaccoutumée pour m'alerter mais son visage fermé a confirmé mes craintes. Comme il n'avait aucune affinité ni parenté avec Patrick Dewaere, j'en conclus qu'il était venu pour m'annoncer celle de mon grand-père. J'ai appris les deux nouvelles le même jour mais je ne parviens plus à me souvenir dans quel ordre. Je me rappelle aussi honteusement que je n'avais plus assez de larmes pour le second. Je peux donc en déduire là encore que l'annonce de la mort de l'acteur a précédé celle du cheminot. Car il était cheminot mon grand-père maternel. Plus: il conduisait des locomotives, avec panache (je ne parle pas seulement du panache blanc de la fumée des locomotives à vapeur) et une élégance d'acteur. Mais reprenons. Ce billet sera laborieux mais nécessaire: il touche à quelque chose d'essentiel et qui m'obsède depuis hier, depuis que j'ai lu le très beau billet de Christophe Sanchez et qui évoque le souvenir de son père, conducteur d'autobus, à travers une photo disparue: toi pleinement. Ce n'est pas seulement la photo du père de Christophe qui se superpose à celle de mon grand-père (celle-ci existe encore dans un vieil album chez mes parents), mais c'est lié aussi à de grandes questions, osons le mot, métaphysiques... 

    Mais à part la date, qu'y a-t-il de commun entre la mort de Patrick Dewaere et celle de mon grand-père? Assurément, rien. On s'attendait à plus ou moins brève échéance à la mort de mon grand-père, depuis le diagnostic de son cancer jusqu'à l'amputation de sa jambe, alors que le suicide de Dewaere, à trente-cinq ans, qui plus est à la carabine, était aussi inattendu qu'insensé. J'ai appris plus tard qu'il l'avait fait devant un miroir, mais ce dernier détail morbide, je ne le savais pas alors. Jeune fille au bord du monde, j'appréciais la sensibilité d'un acteur jouant souvent des personnages au bord du gouffre. Je crois que c'est le premier artiste dont la mort m'ait touchée à ce point. Mon insouciance, la confiance en la vie, au bonheur, quelque chose vacillait. Une première fêlure. Avant la première rupture, un peu plus tard.

    Quant à mon grand-père, il avait soixante-dix-sept ans, était déjà bien malade, bien diminué avec la maladie de Parkinson. Je le revois au déjeuner familial du dimanche, avec les tremblements qu'il avait de plus en plus de mal à réprimer et cependant acceptant difficilement qu'on lui vienne en aide. Je préfère le revoir sur cette photo, dans toute sa fierté de conduire cette belle machine. Il a la prestance et l'élégance d'un Cary Grant, avec ses grandes jambes, sa chemise blanche dont les manches sont relevées jusqu'au-dessus des avant-bras, le sourire encore jeune, les cheveux encore noirs, les sourcils touffus et broussailleux. Comme ma mère, j'en ai hérité. A ma naissance, il devait déjà être à la retraite et seule cette photo me rappelle la joie qu'il avait de faire ce travail, si particulier, qui témoigne à la fois d'une époque sans frein, où tout s'accélère, où tout semble aller plus vite, que rien ne pourrait arrêter. Il a toujours aimé les innovations technologiques et fut l'un des premiers de la ville à posséder un téléviseur, pour le couronnement d'Elisabeth II (le dépanneur télé était un personnage très important dans la famille). Il ne parlait pas souvent mon grand-père et je ne me rappelle pas l'avoir vu lire; j'ai pourtant hérité de son dictionnaire (en fait je l'ai volé à ma mère) et c'est un ouvrage très important pour moi, ne serait-ce que pour son nom et prénom calligraphiés de sa belle écriture à l'encre bleue sur la page de garde. Peut-être la nécessité d'écrire que je ressens vient de son silence à lui, de ses mots jamais dits mais enfouis là dans le dictionnaire, que je dois trouver absolument. Mon grand-père fut mon premier mort, celui qui me causa le plus grand manque. Il y aurait d'autres choses à écrire, d'autres mots suscités par le souvenir de cette photo que je n'ai pas sous les yeux et qui me manque cruellement, là, maintenant. La quête de cette photo et l'enquête auprès des vivants sont en cours.

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  • derniers billetsJournée dépoussiérage, encore. Commencer par la racine de mangrove. La laisser dans la jardin pour que mistral soulève poussière et la fasse retomber plus loin. Passer le doigt dessus et constater incrustation tenace. Profiter que région pas encore déclarée sèche, y aller doucement quand même avec l'eau, mais redonner à racine bain de jouvence et marron foncé pour lui rappeler palétuviers de son enfance. La laisser sécher sur l'herbe au soleil se souvenir de plages au soleil. Ne pas avoir le coeur de la reposer ensuite sur table de marbre. Regarder la grosse rose des sables. Ne pas tenter le diable. Seulement le vent et l'air, pas d'eau, pour cette belle façonnée par sirocco. Poussière ôtée, sa seule matière est le sable qui s'effrite par endroits.

    Continuer le ménage en oubliant la racine. Se dire qu'il fait chaud, mais que ça pourrait être pire, sans le vent qui circule dans la maison en courant d'air. On a tout ouvert et vole, vole, la poussière. Tout est poussière, mais plus pour longtemps. Pas pour longtemps d'accord, on sait, on sait, tout redevient poussière, surtout dans notre maison, où la fée du logis sévit surtout dans ma tête. Qu'importe. Aujourd'hui c'est la fête à la poussière avant de lui faire la peau. Faire un manteau en peau de poussière pour l'hiver. Ce soir, on ira promener les chiens. Peut-être ira-t-on nager.  

    La racine de mangrove a séché: d'un brun plus clair, on la regarde et on la trouve belle. Elle ressemble à un goéland à trompe d'éléphant. Elle ne ressent plus la morsure de la poussière. Elle appelle son amie la rose des sables. Magnanime, je les réunis de nouveau. Libérée du jougs de poussière, je règne sur les choses.                                                                                                                                                            

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Journée bizarre. J'attendais tellement des vacances pour lire et relire. Or la lecture se révèle fastidieuse. Alors écrire? Mais un regard à la table de travail (à l'origine grande table de cuisine) encombrée me décide à faire d'abord du rangement et à jeter la paperasse inutile. Avec l'euphorie de m'alléger, je revois l'année scolaire défiler: emplois du temps, listes d'élèves, codes photocopieuses et d'accès aux logiciels de notation, tout est déchiré sans état d'âme. Les cours et séquences s'empilent et trouvent place provisoire sur rayonnages du couloir ou dans ce que j'appelle "le bureau"; l'ordre relatif de la table de cuisine déplace et augmente forcément le désordre ailleurs. Première bouffée de chaleur. Une bonne idée apparaît sous la douche que j'oublie aussitôt qu'habillée. Reviens à ma table de travail, dégagée, place nette, presque table de cuisine (il reste juste une petite quinzaine de livres et de carnets contre le mur). Devant cette tabula rasa , me prépare un café. Commence à noter sur mon carnet quelques idées pour ce travail que j'appellerai "élargir le cercle" et qui occupera mon été. J'envisage de ... mais non, j'attends un peu que la durée fasse son oeuvre pour vérifier s'il s'agit d'une bonne idée ou d'une idée à jeter au panier. Si je parviens à me dire plusieurs jours de suite que c'est une bonne idée, j'en ferai part ici. Je réfléchis encore un moment mais très vite me rends compte que j'ai galvaudé la gamberge. Dépitée, je prends le marc de café passé, et vais le jeter dehors. Petit à petit ça forme un chemin: rituel parfaitement inutile mais que je respecte chaque jour pourtant. Si ce chemin pouvait aboutir à un texte qui tienne la route. 

    Pour la matinée, c'est foutu. J'ai étendu le linge juste avant que la pluie ne tombe. Je lis quelques articles sur les blogs. Me décide à appeler V., lui parle de mon idée, puis m'en veux, elle est trop petite, trop fragile pour sortir encore sans bonnet. Drôle de journée. Journée galvaudée à grignoter, parce qu'il n'a cessé de pleuvioter. Journée où je n'ai rien fait d'autre finalement que de rallonger un peu le chemin de café.


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  • Vendredi soir, au théâtre de verdure de notre petite ville, on a assisté à un spectacle aussi drôle qu'émouvant, celui d'un humoriste: Ali "au pays des merveilles" qui raconte le quartier populaire (plus tant que ça maintenant) de son enfance, celui du Panier à Marseille.

     C'est toute une galerie de personnages qu'il nous brosse et joue avec un bonheur généreux. Ali parvient à nous faire rire aux larmes avec les clichés les plus éhontés car il les présente sous un angle résolument original: ainsi, le concierge, Gérard, nous parle de toutes les ethnies du quartier avec un double langage, celui qu'il a quand il s'adresse à ses voisins de toutes les couleurs et celui qu'il adopte quand il parle à la télé. Difficile de croire que cet homme est tout seul sur scène, tant les images, les sons et les accents foisonnent telle cette famille de Chinois qui donnent des noms de bruits à leurs enfants... Car Ali nous fait entendre les mots écrits et nous nous étonnons d'apprendre que ce Gérard Martinet, qui parle comme un Français moyen à peine raciste, ait en fait comme nom de famille: Martinez, avec un "z" à la fin. Je ne parlerai pas de la gestuelle d'Ali, aussi déliée que celle de son personnage de danseur classique arabe, Faycal. Un spectacle vraiment réussi. Il joue cet été à Avignon et ça vaut le coup d'aller le voir. 

    Sinon, heureuse de voir que l'été continue et que Lautreje est revenue. 

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    passer devant l'église de Cadenet, j'allais dire une dernière fois

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    mais non pas la dernière fois, je peux revenir quand je veux

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    J'ai juste rendu les clés du collège...

     

     


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