• Derrière les apparences

    derniers billetsPour les Impromptus, ce petit texte en guise de convalescence...

     

     

     

    - Les yeux ne sont pas de bonnes entrées. Tu verras s'agiter des reflets dorés, miroiter des éblouissements, et puis le miroir aux alouettes devenir écran de fumée. Derrière les apparences, trouveras d'autres apparences tout aussi belles et insaisissables. Les yeux, même fermés, surtout fermés, n'ouvrent aucune porte. Crois-moi, fils.

    - D'accord, vénérable mère, dites-moi alors comment je puis étreindre son corps doré et frétillant sans ne garder au final que quelques gouttes d'eau au creux des mains...

    - La main fend la surface de l'eau, disperse les poissons et remue du sable; elle ne fait que brouiller les apparences. Plus que la main, il faut engager le corps entier et entrer dans la sensation.

    - Mais, vénérable mère, c'est l'hiver, sans vous offenser je vais me les peler...

    - Si tu sais, ne demande pas. Ne viens pas déranger les esprits pour tes vulgaires histoires de cul. Allez, ouste.

    - Désolée, vénérable mère, j'entre dans l'eau, les yeux fermés, je nage et j'écoute ce que m'indiquent mes sens, mais elle, où se trouve-t-elle? Et derrière elle, au delà des apparences que se cache-t-il?

    - Miss Poisson aux reflets changeants? Lassée de tes pitreries, à l'affût d'un nouveau morceau de pain jeté de la rive, elle a rejoint ses congénères ou alors ce n'est pas un poisson aux reflets changeants mais une femme. Elle t'attend une serviette de bain sur le bras prête à te frictionner. Voilà, fils, maintenant laisse-moi en repos.

    - C'est tout, Vénérable mère? Je ne suis pas tellement avancé...

    - Dehors, fils, j'ai dit.

    - Vieille peau!

    La vieille chamane boit sa décoction d'herbes sauvages. Les yeux fermés, noyés au milieu de multiples plis dans son visage. Elle sourit maintenant. Elle se lève et laisse glisser sur le sol sa peau de louve, laissant apparaître sa vieille peau - il n'avait pas tort le freluquet- et les vieux oripeaux de sa jeunesse subissant désormais l'inéluctable loi de la gravité. Elle entre dans l'eau sans hésiter, déjà les poissons l'ont rejointe. Sans effort, son corps -ô merveille! N'est-ce pas un corps de jeune femme qu'on aperçoit du rivage, aussi plein et délié que certaines écritures!- passe derrière les apparences, n'est plus dans notre champ de vision.




    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :