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Par mel13 le 7 Décembre 2012 à 00:01
Pour ces derniers vases communicants de l'année, c'est avec plaisir que je reçois Elizabeth Legros Chapuis qui écrit des petites fictions portatives et textes non qualifiés sur Fragmentaire. Elle écrit bien d’autres choses notamment sur Sédiments, mais c’est l’heure de lire son très beau texte, La sécurité du voyage. Vous pourrez lire le mien sur Fragmentaire. Ah, j'oubliais, nos deux propositions tournent autour du verbe contourner.
La sécurité du voyage
Il disait qu’il avait besoin, pour traverser ses longues patiences, d’un étendard bien brossé, de quelques provisions qui font mouche, de deux ou trois grilles de lecture qui bosselaient son havresac. Il allait partir à l’aube, après une nuit blanche et noire, nourrie de récits apocryphes. Ses amis pourraient l’entourer sur le quai et agiter leurs mouchoirs bien repassés par leurs accortes servantes. Il ne leur en voudrait pas.
Il disait qu’il passerait par la forêt, qu’il n’avait pas peur, peur de rien, même pas peur, que les loups le suivraient sans lui faire de mal. Son aïeul avait signé un pacte avec leurs ancêtres. Il devrait seulement saluer les arbres en les appelant par leur nom, toucher leur tronc avec respect. Il pourrait dormir recroquevillé entre leurs racines saillantes, puisant ainsi à leur énergie sans cesse renouvelée. Puis repartir au matin frais, au ciel vert, peut-être même en sifflotant.
Il disait qu’il devrait pourtant veiller à éviter les parages de l’étang, de crainte d’y choir. Il emporterait son meilleur portulan, celui de l’école perecquienne, il tracerait sa route en regardant les étoiles dans les yeux. C’est ainsi qu’il arriverait à contourner l’obstacle pernicieux, couvert d’herbes flottantes, qui avait trompé la belle Ophélie. Sa marche serait ensuite triomphale. Au soir flamboyant, il arriverait dans la cité lointaine et laisserait la servante rousse lui tirer les bottes.
Elizabeth Legros Chapuis, décembre 2012.
Chaque premier vendredi du mois, ont lieu Vases Communicants; qui-veut invite sur son blog qui-veut et ces deux-là se mettent à écrire sur un thème, une consigne, une image... Brigitte Célérier - la remerciera-t-on jamais assez - patience et persévérance incarnées - dresse la table des convives et vous invite à consulter le menu ici.
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Par mel13 le 5 Octobre 2012 à 00:05
Dans la chambre d'Estelle...
Soudain elle comprenait pourquoi on devient méchant. Elle avait attendu. Patiente. Elle l’avait attendu en vain. Compréhensive. Pour rien. Elle se disait que l’on ne connaissait pas les personnes avec qui on vivait. Ou si peu. Des tranches de vie découpées… et la peau, dure qui résistait. Ne distinguait que la face émergente de l’iceberg. Des sentiments, elle avait cru à leurs constantes présences. Se rendait compte aujourd’hui de l’étendue de son imaginaire. Souriait. Voulait désormais du réel, du vrai, du concret. Une peau, une bouche, un corps… la peau, douce. Elle avait été dans une bulle, une cage, une serre, c’était sa vie, même pas rêvée. Et elle s’y sentait bien. Ne voulait pas finir Titanic. Et ce mal de ventre horrible qui ne la quittait plus. Comme si on lui arrachait viscères. Comme quand elle avait seize ans. Qui était-elle ? Elle devenait méchante ? Et fuir pour se préserver. Ne pas affronter la réalité. Sa trop grande douceur était un handicap. Elle ne pensait qu’éducation et culture. Et pensait, parfois, être la seule à croire encore un peu à ces vieilles antiennes. Elle l’avait vraiment attendu. Elle était exempte de foi. Enfin, c’est ce qu’elle croyait mais elle n’en était pas vraiment sûre. Que connaissait-elle de la foi ? Dans sa nuit blanche, était-elle, elle, Estelle, pour la première fois ? Elle avait son destin en main. N’était plus dans l’attente. Elle regardait tout d’un œil nouveau. Ses tripes lui faisaient encore mal. Elle détestait la cause de ce mal. Mais il fallait bien l’extirper de son ancien corps avec toutes les scories qui pouvaient lui rappeler, avant… ce mirage. Elle muait intérieurement. Avant que le soleil ne se pose sur les vitres de sa serre, pénétrées soudain par les rayons. Elle s’ouvrirait telle une chrysalide. Devenait, au sortir de sa nuit blanche, jeune et frêle papillon, certes, mais, rayonnante, vivante… la peau, de nouveau douce.
Franck Queyraud
Pour ces dixièmes vases communicants, je reçois celui qui se fait parfois appeler Silence ou Le flâneur et que je lis régulièrement sur Flânerie quotidienne: Franck Queyraud. Franck, bibliothécaire dans une ville du Sud de la France, aime les nuages (ceci n'expliquant pas cela) et les points de suspension... J'aime bien son avatar sur Twitter: un pingouin malicieux s'apprêtant à frapper l'une contre l'autre des cymbales dans les oreilles d'un ours polaire qui dort du sommeil du juste. Franck n'est ni ours ni pingouin mais ce flâneur qui saisit le moment juste avant que le silence ne se brise et en conserve la mémoire. Nous avons convenu d'écrire sur les thèmes de cloisonnement, de passage, d'ouverture et d'offrir des images à l'autre. Vous venez de lire son texte sur mon image (plus gourmande, j'ai choisi deux de ses photos que vous pourrez voir chez lui, avec mon texte).
Comme de coutume, Brigitte Célérier l'inégalable a établi la liste de tous les rendez-vous des Vases communicants d'octobre. Qu'elle en soit remerciée encore une fois.
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Par mel13 le 7 Septembre 2012 à 00:01
Rôle : spectatrice
Sortir du métro, ou venir à pied, regarder marcheurs, ceux qui ont le pas précis, mais pas celui du retour
Voir l'entrée, les groupes, attendre
J'ai voulu venir
Je suis là
Perdue parmi tous ces gens si beaux
Attendre
J'ai voulu venir
S'oublier
et tout le jour qui pèse
On entre
Quand le silence se fait, quand les derniers distraits prennent conscience, le suspens, petit trou dans le temps qu'on saluerait bien d'un mouvement d'épaules, comme pour le plongeon que l'on ne sait pas faire
Mains à plat sur la robe ou le pantalon choisis juste pour se mettre en fête, pas forcément ce qu'on appelait habillé, mais quand on en a le temps, comme un passage, une préparation
Se faire plage vide, oublier ce que l'on sait, ce que l'on a entendu, les souvenirs éventuels
Revenir
au moment du choix
Le plaisir anticipé
L'excitation
Ne pas en rester là à ce désir
Dégager le cou, redresser le dos, et puis vite - y penser - se retourner, sourire, vérifier qu'on ne gêne pas, revenir face à ce qui sera, déplacer légèrement une fesse pour l'inconfort désirable.
Attente et écoute, soi, seule et en commun avec voisins (et le désarroi que c'est quand voisinage est hostile, ou sot, ou cru tel, l'envie d'abandonner, la tentation de ne réagir qu'en fonction, contradiction de ces ondes, de ne goûter que contre ce refus)
Sourire et se pencher en avant
juste un peu
On entre
Avoir l'esprit et les yeux chatouillés, aimer cela
Avoir trop de souvenirs qui viennent et prennent le dessus sur ce qui est là, devant
Et parfois, ce pour quoi on ne peut se passer de revenir, oublier tout, être emportée, recueillir, engranger inconsciente, attendre la fin, ou un peu après, pour que s'épanouisse le jugement ou le sentiment.
Vouloir tant que ce plaisir s'étende dans la salle, monte vers eux, là, croire que c'est un soir unique, ne pas le croire et se moquer, un peu, de soi.
Parfois si on a été déçue
s'évader
glisser en douceur
partir – ne pas juger le bruyant plaisir
Mais il y a les soirs de liesse, quand on a senti l'intelligence qui venait à nous, rebondissait, riait de plaisir, même si elle était compréhension du tragique,
Se lever
Applaudir
Chercher plaisir dans les yeux voisins
Parfois en parler
Répondre
Sentir la formule se former
La lâcher
Prendre chemin du retour, en flottant de moins en moins, aller vers le lendemain qui se tient là, avec ses questions, problèmes, plus ou moins entêtés.
Brigitte Célérier
Chaque premier vendredi du mois, ont lieu Vases Communicants; qui-veut invite sur son blog qui-veut et ces deux-là se mettent à écrire sur un thème, une consigne, une image... J'ai invité Brigitte Célérier qui m'a proposé d'écrire sur "la spectatrice". Faut-il la présenter, cette spectatrice sans pareille, qui chaque jour sur son blog Paumée lève le rideau sur ses entours et sur le bruit du monde? Pendant le festival d'Avignon, elle arpente sa ville et voit jusqu'à trois spectacles par jour pour ensuite les partager avec nous. C'est une grande joie de l'accueillir ici et qu'elle m'accueille chez elle (malgré tous les problèmes rencontrés ces derniers temps, je lui en suis d'autant plus reconnaissante). Comme si ça ne suffisait pas, c'est elle qui compile toutes les rencontres chaque mois et qui rend compte de chaque texte le samedi! Vous pourrez retrouver chaque rendez-vous Ici et mon texte chez elle.
5 commentaires -
Par mel13 le 3 Août 2012 à 00:05
«(...) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre-? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites (...)». François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.
Pour ma neuvième participation aux Vases Communicants, je suis heureuse et très honorée d'accueillir Danielle Carlès, traductrice d'Horace et qui se définit elle-même comme artisan des Lettres dans son échoppe, Fonsbandusiae... Elle écrit aussi en son propre nom et a accepté mon invitation à rebondir sur des phrases de mes textes. J'en ai fait autant et vous trouverez ici mes essais.
#1 Ils allaient mourir et pour gagner du temps on avait creusé les trous, préparé les tombes au cimetière, invité les proches et les amis
Ils allaient lourdement lourdement l’idée de
mourir pesait derrière les yeux marche plomb
et pierre marche à l’horizon du pas pour une
pour un pour rien pour ça allaient de ce pas
gagner on ne sait quoi l’idée de rêver venue
du passé pesait derrière les yeux c’était le
temps sur eux lourdement lourdement ailleurs
on avait dit ils allaient de l’avant mais on
avait perdu tout ailleurs tout ici gratté et
creusé la trace des ornières soulevé emporté
les amas de poussière buté trébuché dans les
trous ils allaient où ils allaient qui était
préparé à arriver pèsent pèsent sur les yeux
les vieux enfermements du cœur et pierres et
tombes ils allaient sans avancer se savaient
au moment de rien portant avec eux un intime
cimetière de rêves défunts le bonheur jamais
invité ni goûté le regard jamais tourné vers
les proches dans l’attrait commun de la peur
et de l’amertume ils allaient ils comptaient
les amis enterrés et ils restaient entre eux
#2 Il parade sous un grand parasol décoloré par le soleil un perroquet sur l'épaule
Il n’y a pas un jour rue de l’Opéra où tête haute à la
parade sourire aux lèvres fierté palpable et serviette
sous le bras il ne se dirige vers la plage droit comme
un i comme il se dit l’œil intérieur toujours vers lui
grand ouvert visage à peau plissée il n’a jamais vu le
parasol et celui qui reste cloué sur un point un point
décoloré sur l’horizon plat mer aiguë comme un couteau
par delà la plage grise mais lui nage buvant le sel et
le cœur presque arrêté nage aveugle brave l’absence de
soleil exulte corps glacé feu dans la moelle des os et
un jour de plus un jour de plus ne voit pas n’a pas vu
perroquet sur l’épaule celui qui s’est tourné ailleurs
sur la plage avec son parasol inutile et serviette sur
l’épaule il remonte seul à la parade la rue de l’Opéra
#3 Je voudrais que le temps passe par la porte de derrière
Je voudrais dans mon silence
que s’entende ce que j’ai tu
le poids du vide l’âpreté du
temps de la nuit du cœur que
passe le bruit arrêté le cri
par espérance rompue c’était
la violente vie qui ferme la
porte goutte sous la brûlure
de cette eau je sais le goût
derrière le feu l’eau de vie
#4 ballon rouge lancé par un enfant apprenant à jouer
ballon vers le soleil retombé
rouge là-bas
lancé bulle de lait aux lèvres
par un joyeux matin de printemps
un beau matin de gloire par un
enfant juste né à parler juste
apprenant juste venu à ma vie
à mes deux bras
jouer un temps de légèreté
#5 Dire le rebond, bondir de nouveau, de nouveaux bonds entre chaque virgule, les dire et ne s'arrêter qu'à bout de souffle
Dire dérobé enrobé de charme
le redire en flots de larmes
rebond de soi sur note aiguë
bondir à vrai oui à bon dire
de soi à distance et vers le
nouveau chemin de soi bondir
de peur voilà les battements
nouveaux à l’endroit du cœur
bonds en dehors de soi perdu
entre les flammes d’hier sur
chaque moment de joie chaque
virgule respiration du récit
les bonds dans les blancs du
dire les espaces où rebondir
et oublier la raideur passée
ne pas s’oublier mais ne pas
s’arrêter croire qu’il n’y a
qu’à la fin ce rien perdu au
bout du bout sans une miette
de vie solide bondir dans un
souffle tout embué de larmes
Pour retrouver et lire les autres rendez-vous des Vases Communicants du mois d'août, encore une fois patiemment et généreusement listés par Brigitte Célérier, marathonienne passionnée et passionnante du festival d'Avignon, cliquez ici.
3 commentaires -
Par mel13 le 6 Avril 2012 à 00:05
Pour mes huitièmes vases communicants, j'ai le très grand honneur d'accueillir ana nb, dont j'aime lire ses vrais-rêves sur Effacements ou ses faux-rêves-écrits-vrais dans Le Jardin Sauvage (où vous pourrez lire mon texte). C'est elle qui m'a proposé l'idée de travailler sur le travail, et voici son texte, écoutez-la respirer...
Mes saisons de travail
Printemps 1
c'est l'année du chat - de la lucarne - de Zappa - je travaille dans une imprimerie - autour des nuages et des murs sans couleur - je dois corriger des articles sur des bateaux de guerre - il faut lire vite - je rate des corrections - je mets une poudre trop blanche sur le visage - je porte une longue robe avec - ça me dépasse les articles les mots les articles font un tas gris sur le bureau - j'arrête à la fin du premier mois -
Printemps 2
c'est l'année de l'enfer - la porte de la maison n'a pas de clef - sur une échelle dans un verger je cueille des poires vertes - je m'arrête - je croque dans l'acidité - je dors dans un vieux cinéma d' une ville à grand pont - plus tard mes doigts noircis par le raisin la pluie lave les doigts - j'achète une mauvais drogue - et toute une nuit j'attends la fin de ma respiration - voyager dans la tête est un travail - un jour je peins avec de l'encre de chine les fenêtres d'un grand appartement - un jour je mange de la neige j'ai soif - un jour je marche à l'entrée d'une nouvelle ville - j'ai dans le creux de la main un papillon mort -
Printemps 3
j 'ai un entretien pour travailler dans une grand librairie - au sous-sol on vend des disques - à la question qu'écoutez - vous je réponds les Stooges et Van der Graf Generator - je vends je classe je lis dans les rayons à la fin de la journée - à chaque client un auteur - Spinoza – Bataille - Erving Goffman et le cadeau du client tchèque - Je lis Duras Handke Gombrovitch Garcia Lorca Leonora Carrington - je découvre Pessoa - Le soir je peins sur de grands cartons des paysages nocturnes.- peindre n'est pas mon métier.- peindre est plus importent que mon métier.- un jour j'oublie mon badge un second jour un troisième jour - au directeur qui me demande pourquoi je réponds : je l'ai oublié parce que je l'ai oublié-
Printemps 4
dans une salle de cours langue française dans voix turque voix turque voix arabe voix arménienne voix tchétchène - je suis formatrice linguistique - la langue devient mon outil de travail – je donne des cours de français langue étrangère – et j'aide aussi pour les projets professionnels – je fais partie d'une compagnie de théâtre - je travaille sur un texte de René Daumal «La grande beuverie »- je fais des lectures publiques sur de jeunes auteurs allemands – je lis un jour une correspondance de Marina Tsvetaïeva - le travail c'est ça - lire rêver répéter sur un plateau improviser- un jour je travaille je tombe je travaille je tombe je travaille je tombe - je m'arrête-
Printemps 5
le travail tue la personne le travail ne tue pas seulement l'ouvrier sur le toit l'ouvrier sur la machine le travail tue aussi la personne debout quelque part dans un espace pour travailler le travail tue la personne parce la langue du travail est la langue de l'argent la personne ne peut plus parler comme une personne la personne doit parler comme son métier la personne doit parler comme son entreprise la personne doit parler comme son employeur la personne doit parler pour l'argent la personne doit parler pour le salaire qu'on lui donne - il n'y a pas de place dans le travail pour parler sa langue - et pour penser pour penser penser à travers les autres il faut sa propre langue - penser est un travail -
Printemps 6
un jour je ne travaille plus - après trouver un autre emploi devient dur très dur - je vais à l'université – je sors avec un diplôme M2 Didactique du FLE – j'ai 16 à l'épreuve écrite d'arabe - et 2 à l'épreuve de déduction naturelle en calcul propositionnel - je travaille aujourd'hui - je gagne neuf euros de l'heure j'ai un contrat de six mois - j'écris le soir chaque soir - écrire n'est pas travailler - écrire c'est respirer - je n'ai jamais appris à respirer -
Pour lire les autres textes des vases communicants on peut cliquer ICI et retrouver la liste que Brigetoun a établie encore une fois avec sa générosité coutumière.
Rappel :Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
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