• moi j'crois pas

    moi j'crois pas

    - Moi j'pense...

    - Non j'pense pas.

    - J'ai même pas fini ma phrase, laisse-moi terminer avant de me couper la parole pour me contredire. Tu ne sais même pas ce que je pensais.

    - C'est impossible, tu ne penses pas. Tout au plus, tu as une opinion, mais appeler ça une pensée, c'est beaucoup dire.

    - Mais c'est un cauchemar, je suis en train d'écouter quelqu'un qui reconnaît ne pas penser me faire une leçon sur ce qu'est l'exercice de la pensée. 

    moi j'crois pasCe petit dialogue introductif pour dire que le théâtre pourrait bien être ce espace-là, ce lieu où l'on exerce la pensée justement. Et Moi j'crois pas, la pièce de Grumberg jouée hier soir par la compagnie "Éclats de scène" grâce à "Par les villages" donne à penser sur de nombreux sujets, telles que les idées reçues.  

    Cela commence par le rejet d'une opinion courante, celle des fayots qui font péter. Le mari ne le croit pas tandis que sa femme le croit (parce que si on le dit c'est que ça doit être vrai). S'ensuit un dialogue savoureux pour vérifier la véracité de la croyance, à l'issue duquel la question ne sera pas résolue car invérifiable: en effet si chacun d'eux pète - quoiqu'elle pète à l'intérieur- jamais ils ne mangent de fayots. Cette première scène farcesque montre d'emblée les enjeux de ce à quoi on assiste: la parole conflictuelle d'un couple usé, bête et parfois raciste, s'affrontant devant l'écran de télévision toujours allumée, est néanmoins une parole vivante. Derrière les croyances et les superstitions erronées véhiculées par leurs mots, émerge quelquefois une parole vraie, lucide et angoissée, qui pourrait faire tourner la farce en tragédie, ce qu'elle est en réalité. Ainsi lors de la scène où le mari affirme de manière péremptoire: Moi j'crois pas qu'il y ait une vie après la mort, elle rétorque: Moi, c'est le contraire mais le quiproquo n'est levé qu'après quelques répliques, lorsqu'elle dit: Moi j'crois pas qu'il y ait une vie avant la mort. Le public ne cesse pourtant pas de rire, car le dialogue continue sur le mode léger de la comédie. Et les deux comédiens, Frédéric Flahant et Léa Giovanelli, excellents, ne tombent jamais dans la caricature ou l'effet facile. Au contraire, ce qui doit les rendre odieux sur le papier (je n'avais pas lu le texte auparavant, mon ami P. me l'ayant interdit pour que je garde le plaisir de la découverte finale), nous les rend très proches - des voisins de palier - grâce à leur jeu sobre et naturel.

    moi j'crois pasEn fait, il n'y a pas deux personnages, mais trois. On ne s'en rend pas compte tout de suite. Entre chaque scène, il y a un noir pendant lequel un technicien de noir vêtu, apporte quelques accessoires sur scène, déplace un élément du décor, aide l'un des comédiens à faire un petit changement. Or, ce technicien prend de plus en plus d'importance au cours de la pièce. À un moment, il prête son visage à la femme qui se fait belle devant le miroir, et ce visage à l'ovale parfait est celui d'une jeune femme. Moment très fugace, elle disparaît aussitôt. À d'autres moments, elle fait disparaître des objets scéniques et verse du sable sur le plateau. À la fin elle vient saluer au milieu des deux autres, ce qui me fait penser que c'est un personnage à part entière, symbolisant le temps ou la Mort. En cherchant sur les programmes, je n'ai pas trouvé son nom, et c'est regrettable, car la mort est à l'oeuvre pendant tout le spectacle, elle est aussi vivante que la parole. Elle s'immisce même dans la parole mais parvient aussi à tuer les fausses croyances de l'un ou de l'autre.

    La mise en scène de Julien Colli est pleine de trouvailles, comme cette maquette que construit l'homme tout au long du spectacle et dont on se demande bien ce que c'est. C'est à la fin seulement qu'on découvre la maquette d'un squelette de dinosaure, avant-scène, côté jardin. Le public (jauge pleine) était très bon aussi hier soir - l'ai senti tout de suite quand un spectateur m'a cédé sa place pour que je puisse être à côté de P.- tout le monde riait et faisait silence, aussi. C'est pendant ces silences qu'il pense, dans son théâtre intérieur. Ensuite, on peut encore se poser des questions, pourquoi ce sable sur scène? Et le dinosaure? Et puis y repenser après la nuit, donc penser, enfin j'crois...


     


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  • Commentaires

    1
    D3
    Dimanche 11 Décembre 2011 à 19:21

    Votre présentation de la pièce ,donne très envie de la voir ,,,,Pour moi ,le jeu sobre est un plus ,,,La plupart des comédies m'apparaissent plutot comme des tragédies ,,,J'adore "rigoler" ,mais le gouffre et les peurs ,la désolation ,servent souvent de ponctuation .


    L'art de mélanger les choses dites sérieuses avec celles qui peuvent etre considérées comme ne l'étant pas (le questionnement du début,,,,)   J'espere que la piéce voyagera ,vers l'Ouest

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    2
    Mardi 13 Décembre 2011 à 08:06

    je pense que ta critique me donne vraiment envie de voir cette pièce !

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