• les yeux regardent...

    En attendant le temps d'écrire, voici l'autre version de mon texte pour les derniers vases communicants avec Brigitte Célérier: des modifications mineures à l'intérieur mais c'est surtout la fin qui en change complètement la tonalité; c'est l'occasion de revoir les photos de Philippe Marc (qui va bientôt créer son blog)

     

    Les yeux regardent les gouttes tomber sur les pas de son rêve. Les yeux regardent la phrase se former. Je regarde les yeux. À qui sont ces yeux ? Est-ce important ? Je n’agis qu’avec un temps de retard, comme si j’étais agie. Être spectatrice de son propre film. Assister au film dans lequel on est l’actrice qui joue un personnage de spectatrice.

     

    00h39 : Le sujet est en phase 4 de SP. Les mouvements oculaires s’accélèrent, les doigts des mains sont agités de micromouvements,  des sons incompréhensibles s’échappent de ses lèvres. Le tracé de l’électro-encéphalogramme se creuse. De grosses gouttes de sueur perlent à son front. Ploc ! Ploc ! Le sujet arrache ses électrodes à 00h 43.

     

    C’est d’abord une lumière. Surréelle plutôt qu’irréelle. Seule passe une pensée bleu cobalt. Pas de corbeaux noirs sur un champ de blé ni d’église se tordant à Auvers. Je sais seulement que je ne suis pas dans le val d’Oise et que Vincent n’est pas mort. On dirait une fin d’après-midi d’été avant l’orage. Atmosphère électrique: mes yeux vont et viennent entre le ciel très mobile, fluctuant et le village à l’arrière-plan. Un vieux village perché comme on en trouve dans le Luberon. On distingue nettement les arches d’un rempart en haut à gauche. J’en suis encore loin. Je dois m’y rendre : j’ai un rendez-vous très important. Mais je sais aussi qu’il y a danger à y aller. Alors je ne bouge pas, à l’affût. Je guette. Voilà, c’est tout ce dont je me souviens.

     

    les yeux regardent...

    1h07 : le sujet a été réveillé à la fin de la phase 4 de SP. Il a décrit sa scène de rêve de manière beaucoup trop élaborée. Il a parlé des tableaux de Van Gogh. On notera dans l’enregistrement audio la fluidité du débit de sa voix, aucun Euh ! raclement de gorge ou tic de langage parasite. Le sujet donne l’impression de réciter un texte. Ce qui nous autorise à en déduire que le sujet fabule. Nous prenons l’initiative de lui injecter 20 centigrammes d’Onirocéphol. Ploc ! Ploc ! fait le goutte à goutte de la perfusion.

     

    Le chemin maintenant. Qui m’invite et me tend la main. Ce serait trop facile. Je ne le ferai pas. Je reste là immobile. C’est comme  dans les westerns, un face à face entre deux adversaires se mesurant du regard avant de dégainer leurs revolvers. Mes yeux défient le chemin. Les yeux du chemin sont les arbres décharnés qui le flanquent. À moins qu’il ne s’agisse d’armes. Des arbres foudroyants plutôt que foudroyés. En tout cas, je ne bougerai pas d’un pas. De grosses gouttes commencent à tomber sur le sol.  Lourdes et espacées. De gros cratères sur la poussière ocre – presque du sable – du chemin. De gros Ploc ! Ploc ! silencieux qui ouvrent grand leur «  o » comme des poissons en quête ne nourriture. Je piétine le sol pour l’écraser comme on le ferait avec le raisin. Les yeux regardent les gouttes tomber sur les pas de son rêve. La phrase se forme. D’abord sonore. Mais je sais que quelqu’un l’écrit. Une troisième personne ?

     

    2h09 : le sujet dort maintenant paisiblement.  Administré une dose plus forte d’ OnirocéphoI…

     

    les yeux regardent...

    ÉTEIGNEZ-MOI CETTE MUSIQUE, ON NE S’ENTEND PLUS ICI ! QUI VOUS A DEMANDÉ DE PRENDRE DES INITIATIVES ? JE VOUS OBSERVE DEPUIS UN MOMENT, VOUS N’OBSERVEZ PAS LES CONSIGNES DE SÉCURITÉ.  ON VOUS A DEMANDÉ D’ÊTRE SPECTATRICE, VOUS COMPRENEZ CE QUE CELA VEUT DIRE ? VOUS N’INTERVENEZ PAS, VOUS ÊTES LA RÉCEPTRICE. VOUS NE DEVEZ NOTER QUE VOS OBSERVATIONS, SANS CHERCHER À DÉDUIRE QUOI QUE CE SOIT, SANS ANALYSER. ET C’EST QUOI CE STYLE « de la sueur perle à son front  Ploc ! Ploc !» VOUS VOUS CROYEZ DANS UNE HARLEQUINADE ? C’EST VOUS LE COBAYE, SI VOUS ÊTES AGI, C’EST UNIQUEMENT PAR L’INSTANCE SUPÉRIEURE DE CE RÉCIT ET ENTRE NOUS, JE PEUX VOUS LE DIRE, C’EST VOUS LE COBAYE DE L’EXPÉRIENCE. LE SUJET DE L’EXPÉRIMENTATION C’EST VOUS ! JOSIANE, METTEZ-LUI LES ÉLECTRODES ! OUI, TOUT DE SUITE ! 40 CENTIGRAMMES D’ONIROCÉPHOL…

     


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  • Commentaires

    1
    D3
    Mercredi 12 Septembre 2012 à 20:39

    J'ai d'abord cru que c'était un tableau de Domenikos ,Le Greco ,,,,,Magnifique !


    Siou plait ,laissez-lui son "ploc ,ploc " ,      Le signe d'une grande écrivaine qui se balade comme chez elle  ,dans un texte magnifiquement émouvant ,, com d'hab ! avec tous les droits , y compris celui -la !

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