• Les mots ne sont pas innocents

    Entendre une comédienne à la radio dire Les mots ne sont pas innocents. Partir dans une rêverie. Faire le lien avec la pièce vue il y a deux jours Comédie de Beckett. Se rappeler qu'on a promis d'écrire sur cette pièce. Repenser à la pièce. À une question qui se pose. Voire plusieurs.

    Pourquoi va-t-on voir une telle pièce? Qu'on connaisse le texte, ou pas, qu'on ait déjà vu une ou plusieurs représentations de la pièce, ou aucune, que vient-on chercher? Cherche-t-on quelque chose d'ailleurs? On a tous des a priori par rapport à Beckett. L'absurde, la perte du sens, la solitude et l'impossibilité de communiquer... Que ou qui vient-on voir? Qui plus est, lorsqu'il s'agit d'une compagnie amateur, une vraie compagnie, qui prend souvent des risques dans le choix des textes, des mises en scène (Jacqueline Gudin), le Théâtre du Labyrinthe, le bien nommé. Surtout pour Beckett.

    Soupçonner certains spectateurs de venir voir se viander (verbe on ne peut plus efficient s'agissant de Beckett) des comédiens dont ce n'est pas le métier enfermés dans des jarres, ne disposant pas de leur corps (pour tricher?), devant jouer de la manière la plus neutre possible selon les indications de l'auteur. Des comédiens mis à nu dans une lumière crue. En soupçonner d'autres, ceux qui ont lu la pièce, de vérifier la concordance, la fidélité à la lettre de la mise en scène aux indications scéniques très précises et très rigides de Beckett. Me soupçonner, moi, d'être entre ces deux écueils. M'évertuer à ne rien attendre. Chasser les a priori. À être dans l'instant présent. À recevoir la parole de ces trois personnages -deux femmes et un homme- incarnés par trois comédiens - Béatrice de Villars, Nicole Saignes et Michel Cahour. Saluer d'abord leur courage, leur beauté et leur dignité à s'offrir ainsi sans fard, sans garde-fou, sans paravent.

    Quoique. Les jarres sont des panneaux rectangulaires,  tissus clairs enchâssés dans des cadres de bois cachant le corps des comédiens lorsqu'ils s'assoient. Seuls, les doigts tenant le paravent sont visibles, ainsi que le visage et les épaules. Un bouquet de fleurs devant chaque tombe vient parachever le dispositif scénique. Première transgression. D'autres viendront plus tard. Les comédiens se lèvent, errant à l'aveugle dans cet espace figurant l'enfer, les mains levées tâtonnant dans l'obscurité du plateau éclairé. En attendant, ils prennent la parole, chacun leur tour. Une parole qui n'est pas neutre. Tu pues la pute s'accompagne d'une grimace imperceptible. Les dis-je ou dit-elle rappellent qu'il s'agit de paroles rapportées. Et c'est très beau ces dis-je ou dit-elle. À croire même que l'essentiel est là, dans le fait de dire plutôt que dans ce qui est dit. Mais c'est aussi une parole faite chair, véritablement incarnée. Parfaite réponse au thème de la saison du théâtre Vitez: "Pour briser la glace de la mer intérieure". Jusqu'aux cadres de toile. Celui de Béatrice glisse imperceptiblement vers le bas, dévoilant le haut de son buste. Détourne mon attention un moment par le décalage de symétrie avec les autres comédiens. Regarder du coup le corps de l'actrice qui a envie de bouger, qui remue d'ailleurs. Revenir au texte. Aux mots, qui ne sont pas innocents.

    Les mots ne sont pas innocents. Vraiment? Ils ne sont pourtant pas coupables. Qui alors? Les hommes qui les énoncent? Quelle faute ont-ils commise? D'avoir désiré, aimé, tenté de rompre une solitude inévitable? D'avoir menti aux autres, menti à soi-même, de s'être caché la tragédie de la vie, en jouant la comédie? Non, les mots de Beckett ne sont ni innocents ni coupables, ils sont. Ils font rire parfois - on l'oublie trop souvent- comme ces mots grossiers pour mettre à distance le pathos insupportable du désespoir. On dira que je joue avec les mots. Non, ce sont les comédiens qui jouent avec les mots de Beckett, quoi qu'on en dise. Ils ont joué Comédie, ce soir-là, comme il fallait qu'elle soit jouée ce soir-là. Accepter de n'avoir pas toutes les réponses. Accepter les questions qui surgissent inévitablement et qui suscitent de nouveaux questionnements. Être heureuse d'avoir vu ce spectacle. Le dire.

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  • Commentaires

    1
    Shanti
    Vendredi 14 Janvier 2011 à 11:49

    Très beau ce texte qui restitue l'ambiance et l'essentiel d'une pièce qui m'a l'air difficile d'accès.... Je passais par là.... j'essaie de t'envoyer un courriel ce matin, mais Hotmail ne réponds pas.... A +

    2
    mel13 Profil de mel13
    Vendredi 14 Janvier 2011 à 18:22

    @Shanti Merci de ton passage. Ça fait toujours plaisir de te lire sous ce nom ou un autre... Ce soir, deux pièces: "Finies les vacances" et "Temporairement épuisé"... Pas le temps de rédiger un billet donc... Bises.

    3
    Une rêveuse éveill
    Jeudi 20 Janvier 2011 à 19:24

    Je ne connaissais pas cette pièce... Très belle photo, des mots justes, qui coulent de source. Petit passage furtif, pas grand chose à dire, mais j'aime ce que je lis, ce que je vois, c'est cela qui est important, non ?

    4
    mel13 Profil de mel13
    Samedi 22 Janvier 2011 à 19:09

    @ Une rêveuse éveillée Merci pour vos paroles, pour votre passage par ici. Revenez quand vous voulez...

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