• Le petit poète à lunettes

    Le petit poète à lunettes

    Cette nuit j’ai fait un rêve qui a à voir avec mon rapport aux mots, et en particulier à l’usage désuet que j’en fais, mais aussi à l’intelligence et au hasard. Si je parviens à démêler tout ce qui se remue à l’intérieur, il se peut qu’en sorte quelque chose de complexe et vivifiant. Je vais essayer d’aller au bout.

    D’abord le rêve brut, enfin le moins travaillé possible. Je ne raconte que ce qui a trait à ce petit poète à lunettes, qui ressemble un peu à Pessoa quand il s’appelle Soares (tel qu’il figure sur la couverture du Livre de l’Intranquillité) enfin ça m’a fait penser à ça, mais dans le rêve je ne me dis pas ça, c’est après coup. Bref, le petit poète à lunettes est amoureux de moi ou plutôt de mes mots, de mes textes. Moi, je suis flattée bien sûr, mais au moment où il m’aborde j’ai d’autres chats à fouetter ; assez embêtée, je cherche dans mes poches, un papier où j’ai noté le premier jet d’un texte d’abord écarté. Nous sommes au milieu d’une foule venue assister à la lecture de texte divers, poèmes, scènes de théâtre, extraits de travaux en cours (aucun des textes n’a été encore joué sur scène ou publié) celui que je comptais lire ne me plait plus et je cherche le premier pour le retravailler vite fait dans la file d’attente. La deuxième scène dont je me souvienne, c’est chez un couple d’amis du poète. Les amis vénèrent le poète. La femme veut me prêter des livres écrits par le poète et me demande si je les ai déjà lus. Je mens. Je dis que j’en ai lus certains mais pas celui-là, que je veux bien l’emprunter. Le petit poète à lunettes revient avec son ami et semble heureux que je sois encore là. Pendant que le couple met la table pour le dîner dans la pièce à côté, il me montre un gros livre relié (qu’il a écrit) et l’ouvre : sur la page de garde, figure une sorte de collage avec des bouts de tissus, de laine et de ficelle représentant une petite fille en robe rouge et en tissu écossais, les nattes  en laine jaune. Le petit poète à lunettes, tout fier, soulève alors les vêtements et dessous, il y a des mots inscrits (impossible de m’en rappeler un seul). Je souris un peu gênée, un peu condescendante (je déteste être ainsi mais l’honnêteté m’oblige à l’avouer), le petit poète ne s’en aperçoit pas. Il me prend dans ses bras et me dit : Je ne voudrais pas te chasser mais il est déjà dix heures et il fait nuit, ça ne va pas faire trop tard pour toi ? Je dis : Oh là là, il faut que je me sauve – et c’est bien une fuite qui me pousse dehors. Je ne sais pas où je suis, ni où se trouve la station de métro la plus proche, si je suis loin de la gare du Nord. Je me réveille.

    On se rassure, je n’ai pas l’intention de livrer une analyse du rêve, au demeurant assez limpide pour moi. Non, ce qui est intéressant c’est la suite. Je petitdéjeune, en parcourant quelques Fichaises de Christine Jeanney et là – p.29 - je tombe (c’est dingue, hein ?) sur [20|70] « vous êtes ici » (on se souvient qu’à la fin du rêve, j’étais perdue…) Elle dirait fonction itinéraire inutile code surperflu appréciez sérendipité complète… le mot sérendipité, la première fois que je l’avais lu, je n’avais pas cherché sa définition, mais là, je sens que c’est important. Je saisis le mot sur le dictionnaire de la liseuse. Rien. J’attrape mon vieux  petit Robert papier : rien ! Mais comme je l’ai sous la main, je cherche les mots désuet et obsolète pour vérifier leur emploi et leur synonymie. Je note sur un carnet l’exemple : deux poèmes médiocres du symbolisme le plus désuet (J. Romains) ; enfin, je cherche sérendipité sur le moteur de recherche. Je recopie la définition sur mon carnet[1] : « fait de réaliser une découverte inattendue grâce au hasard et à l’intelligence, au cours d’une recherche dirigée initialement vers un objet différent de cette découverte » et m’interroge sur l’usage désuet du papier et du stylo que j’ai encore. Trop vieille petite fille aux cheveux de laine jaune, je suis aussi le petit poète à lunettes qu’une instance narrative supérieure regarde un peu avec condescendance.

    Ça me fait penser à ça aussi. Ça me fait penser aux livres-hérissons qu’on a faits ces derniers jours avec la plus jeune de mes nièces, aux carnets qu’on a décorés – découpés-collés d’images et de mots, aux marque-pages, à mes découpés-collés… 

    Le petit poète à lunettes

    Le petit poète à lunettesLe petit poète à lunettes

    Ça m’a fait penser à ça, à ce que j’ai lu hier : En attendant cela, le juste mot, la phrase exacte, je vis tout seul dans une maison de mots, une demeure dont les murs sont montés de mots, des mots de ma langue d’avant, des mots de ma langue de ce jour…  Il faut lire « Langue » dans Légendes de Daniel Bourrion. Mais je suis bien bavarde ce matin, et je ne sais toujours pas où je suis, ni où je vais, ni ce qui me semblait si riche tout à l’heure (et qui me paraît bien fragile, bien futile maintenant) Il est tard, je fatigue, et ce billet est bien trop long. S’il y a encore un lecteur ici – « Vous êtes ici » -  il saura mettre des mots sur tout l’implicite du texte, quant à moi, je m’arrête.



    [1] N-d-a : je conseille, si vous n’avez pas encore cliqué sur le lien, de lire la notice intégralement, très riche et intéressante…


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  • Commentaires

    1
    D3
    Vendredi 17 Août 2012 à 18:48

    Mais bien sur qu'il y a encore un lecteur (trice),qui a bien décollé avec le voyage-reve ,,,,et le voyage hors -reve ,,,,,,,, précieux ds cette fin d'apres-midi fournaise !

    2
    mel13 Profil de mel13
    Dimanche 19 Août 2012 à 16:14

    merci pour le commentaire rafrîchissant ... précieux aussi quand les mots fondent dans la fournaise de ces journées de la constellation du chien... (je me refuse à prononcer le mot à la bouche de toutes les miss météo et tous les médias soit-disant informatifs... bises

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