• la goutte qui fait dégringoler le vase

    la goutte qui fait dégringoler le vase

    D’abord, il y aurait eu la goutte qui crée le vase, abolissant les frontières entre contenu et contenant. Ou plutôt, réunion de gouttes, gouttes indignées des vases qu’on leur prêtait pour les contenir, les assigner à résidence hideuse, de main d’homme sans imagination. L’eau a-t-elle forme ? Une forme peut-elle prétendre à la contenir ? L’eau n’est que mouvement, écoulement, ébranlement, comme Temps et Rêve. Le moment où tu captures cette seconde, tu ne figes rien qu’un secret. La conspiration de gouttes indignées pour construire vase à leur mesure, vase transparent d’eau transparente. Jubilation des gouttes d’eau à devenir bulles – pour un peu se prendraient pour vin de Champagne- à sauter hors du récipient qu’elles viennent de créer, à défaire le tissu qu’elles viennent de former – les voilà Pénélopes, mais des Pénélopes sans Ulysse, sans attente, sans autre souci que de se retrouver entre sœurs se ressemblant comme de multiples gouttes du même lit de la rivière, leur mère. Elles ne songent qu’à couler de source,  ne comprennent goutte à ce que j’essaie de te dire, le Photographe.

     

    Et oui, je sais que tu n’aimes pas te voir mêlé à ces textes. Tu me l’as encore dit récemment Ne pense pas à moi, écris librement ce qui te vient… Injonction paradoxale. Si sage et obéissante je suis, libre je ne puis l’être. Cependant, écoute-moi, la deuxième personne est venue comme ça, sans que je le veuille. Elle coule de source, cette deuxième personne c’est toi, et ce sont d’autres qui viennent  s’y superposer. Je n’y vois goutte moi non plus. Je n’y comprends rien à la technique, ne comprends pas comment ça marche et ne cherche pas à la savoir. Tu est un autre tu comme le je de l’autre. C’est même peut-être la fin de l’histoire, cette goutte qui fout tout en l’air, ce grain de sable dans cette belle mécanique, la goutte qui fait déborder le vase, qui lâche la bride à la colère, qui dit stop à toute tentative d’asservissement. Imagine, je/tu suis/es cette goutte qui construit le vase –texte/photo- et qui le déconstruis tout aussitôt. Je vais essayer d’être comme l’eau de roche – plus claire, si possible.  

     

    Toi et moi, arrivons à un âge où nous ne pouvons plus nous permettre de perdre du temps, à le voir s’écouler, sans lui donner un sens. Quel que soit le sens que nous voulons lui donner, on ne peut empêcher les fleuves d’aller vers la mer. On va tous dans une seule et même direction, fatale pour l’eau douce. Or donc, si douce soit-elle, cette eau à besoin de bouillonner de temps en temps, de dévaler les montagnes, de jouer avec les saumons, de jaillir des fontaines des villes d’eau, villes d’art, de construire des vases à leur mesure, à leur démesure. Un jour, un moment, une seconde, et une goutte, une seule change le cours des choses, juste pour affirmer sa liberté, ce qui lui reste de liberté. Tu me suis toujours ? C’est la goutte qui fait dégringoler le vase, dernière étape du parcours, mais oh combien réjouissant. On peut filer la métaphore et percevoir cette dégringolade, comme l’écroulement de notre jeunesse gaie et insouciante, ou encore la perte de nos illusions, et par conséquent la conscience accrue de notre fin, du peu de liberté qu’il nous reste. Or cette image, c’est un cadeau que te fait la vie et que tu partages avec nous ; les mots qui viennent sous mes doigts, je ne suis pas certaine qu’ils soient l’expression de ma liberté et ce personnage que je nomme « Le Photographe » s’est imposé sans que je le veuille ; mais dans la mesure où il apparaît, il devient capital, au même titre que cette minuscule goutte d’eau, qui à elle toute seule, fait dégringoler le vase.

    la goutte qui fait dégringoler le vase

     Ces magnifiques photographies m'ont été prêtées par Alain Fort. Merci à lui de m'autoriser à les partager ici.



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  • Commentaires

    1
    Aunryz Profil de Aunryz
    Mercredi 21 Décembre 2011 à 20:36

    Merci de prendre ici
    le temps de ralentir le cours de l'eau
    de la figer au point qu'elle puisse se contenir elle-même
    avec un peu de place en prime pour un bouquet de fleur
    quand les mots parcourent la surface, immobile pour un temps
    de ce liquide devenu statue du dieu hasard.

    Après avoir lu
    et visité le monde ici créé
    vient l'envie de ne plus rien regarder, penser, entendre
    pour un temps.

     

    2
    mel13 Profil de mel13
    Jeudi 22 Décembre 2011 à 09:51

    @Thaelm

    merci de prendre le temps de déposer ici ce commentaire pour moi si précieux et que je reçois comme un beau présent ... non de Noël, ni du dieu hasard, mais du présent. Merci encore Thaëlm.

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