• file d'attente

    file d'attenteQuel culot ! Au lieu de poser une question elle préfère lire un de ses poèmes, s’il le lui permet. Il permet. Bon,  d’accord, elle l’a bien lu le poème de Charles Juliet, lentement et sobrement, mais est-ce une raison pour faire attendre tout le monde ? Nous aussi on veut notre dédicace « Vous comprenez pour moi c’était important de faire entendre vos mots à voix haute » L’écrivain acquiesce, jette un coup d’œil à la file qui attend. « Je suis po-ète moi aussi »  Elle lui tend deux plaquettes (probablement autoéditées, et oui, on peut parler de mauvaise foi de ma part) en même temps que le recueil pour la dédicace. Son aplomb, son assurance m’époustouflent. Elle décline son nom pour la dédicace et ajoute qu’elle a mis son adresse à l’intérieur de la brochure, au cas où il souhaiterait la contacter… Charles Juliet écrit sur ses genoux, lui rend son livre prend les deux plaquettes, approuve le peu de pages, parle de la nécessité de resserrer… Elle a encore des choses à dire, sur ses performances (enfin me semble-t-il : affectant de ne pas m’intéresser à ce qu’elle dit, malgré ses efforts pour qu’on l’entende, je ne distingue pas toutes ses paroles…) Charles Juliet parvient enfin à s’en débarrasser gentiment. C’est mon tour, je bredouille mon prénom.

     

    L’attente. Avez-vous connu, connaissez-vous l’attente ? Cette attente qui pendant des années n’a cessé de me ronger, m’a empêché de participer, a frappé d’inanité cela même qui aurait dû me contenter. Si vous saviez dans quel désert elle m’a fait vivre. Rien de ce qui se proposait à moi n’était à la mesure de ce dont j’avais soif. Et que pouvais-je bien attendre ? Je n’aurais su le préciser. Sans doute étais-je dans l’attente de cette merveille qui eût apaisé la soif de ce qui manque à toute vie. Mais il n’est point de merveille, et je conçois maintenant que je n’ai pas à le déplorer. Ce qui est susceptible de répondre à cette attente ne peut nous venir que de l’instant – cet instant qui est là, en avant de nos pas, et qui s’offre à notre convoitise. Mais souvent, nous le trouvons trop gris, trop banal, et parce qu’il ne nous paraît pas digne de véhiculer ce dont nous désirons nous rassasier, nous le franchissons sans chercher à recevoir à ce qu’il recèle. Combien nous nous trompons. À tout moment la vie abonde, ruisselle, irrigue ce quotidien auquel nous ne savons pas nous arrêter. C’est du plus ordinaire que filtre l’eau de la source. Mais il y a tant à débroussailler avant d’être à même de le comprendre,  de l’admettre.

     

                Charles JULIET, Dans la lumière des saisons, éd. POL, 1991

     

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  • Commentaires

    1
    D3
    Samedi 22 Septembre 2012 à 23:29

    J'aime les gens qui font (si bien ), l'éloge de l'instant et aussi les gens ,qui aiment les gens ,qui font l'éloge de l'instant ,,,,,,         L'instant est maitre du temps ,,,,   ?    Je crois ;

    2
    Alexa1
    Mercredi 26 Septembre 2012 à 17:55

    Bonjour Mel, quelle chance as-tu de l'avoir rencontré, lui, j'aime beaucoup son livre "Accueils"; il est sur ma table de chevet, et les pensées que j'y trouve sont revigorantes. J'y plonge lorsque la journée m'a semblé insipide et j'y fais toujours de belles rencontres...

    3
    Me
    Mercredi 26 Septembre 2012 à 20:09

    je ne savais pas que tu l'appréciais autant... si j'avais su, j'en aurai fait dédicacer un pour toi: c'est la deuxième fois que j'assiste à une lecture et à chaque fois sous le charme... 

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