• (à propos du spectacle d'hier) C'était la compagnie Demesten Titip qui jouait Ils regardaient le monde dans les yeux de leurs voisins, d'après Antigone de Sophocle, d'après le programme. Alors oui bien sûr, il fut question d'Antigone, de Créon, de Polynice et de toute cette famille maudite. Mais c'est surtout du point de vue d'Ismène, la survivante, celle qui refuse de suivre sa soeur pour recouvrir le corps du frère d'un peu de terre, celle qui choisit de vivre, de survivre à tous ses morts. Ismène (jouée par Solenne Keravis, une comédienne au sourire magnifiquement triste) prend la parole la première et la dernière aussi (l'extrait d'Ismène de Yannis Ritsos, cité hier) pour témoigner longtemps après cette tragédie de son existence, à elle aussi, elle, l'effacée, l'oubliée, la bien trop souvent ignorée des dramaturges. Elle a droit aussi à la parole, Ismène, et la prend calmement, elle qui a pu vieillir dans une maison isolée de tout, silencieuse, exceptés le crépitement des pattes des rongeurs au grenier. 
    Et puis surgit du fond de scène un petit bout de femme - énergie est son nom à défaut d'un autre - arpentant les trois largeurs du plateau, juchée sur ses talons qui tip-tapent, pour essuyer d'un coup de chiffon la table située à gauche de l'avant-scène. Déplacement invitant au sourire car elle aurait pu y arriver en ligne droite. Comique de répétition, déplacement renouvellé de la même manière pour apporter successivement assiettes, verres, et repas pour trois: Ismène, le musicien (qui joue aussi Créon) et elle même. Elle, qu'on prend d'abord pour une servante ou la nourrice. Elle marmonne, se parle à elle-même, refuse les compromissions et joue à être une autre, Antigone, bien qu'elle n'en ait plus l'âge comme elle dit. Belle prestation de comédienne, Marianne Houspie, mais je la préfère dans son rôle anonyme que dans celui d'Antigone, trop souligné, trop tragique.
    Enfin, et le spectacle commence par lui, le musicien, puisqu'à l'arrivée des spectateurs, il officie déjà sur son instrument, une sorte de piano carré avec des cordes tendues, des percussions et une boîte à rythme, et fait résonner des sons tandis qu'Ismène, assise à l'avant-scène, à droite, regarde le public. Musique étrange, avec quelques lignes mélodiques, des rythmes étranges et des dissonances aussi. Intéressant. Le créateur, Sébastien Rouiller, approche parfois sa bouche du micro et psalmodie les menaces de Créon, reproduites en vidéo, blanc sur noir.
    Je ne rendrai pas compte de la totalité du spectacle ( l'aspect parfois didactique comme le résumé des actions du passé un peu trop appuyé et ennuyeux à mon goût), seulement  de ce que j'ai trouvé intéressant: le dispositif scénique par exemple. Cette matière blanche, répartie sur un grand carré au centre, qui rappelle la neige, ou la feuille blanche sur laquelle s'inscrit le mythe - le petit bout de femme trace avec son talon un grand coeur qu'elle entaille de sept encoches pour les portes de Thèbes - suscite des questions à la fin du spectacle: c'est quoi? Certains optent pour du sucre, d'autres du sel ou du polystyrène. Je m'approche, et je saisis un des cristaux. Il s'agit en fait de sel, de celui utilisé pour les routes enneigées. Une jeune spectatrice me souffle: "Normal, le sel, pour la mémoire."
    Elle a raison, l'essentiel, c'est la mémoire d'Ismène qui se dévide sur le blanc du mythe, de la page. C'est sa vérité à elle qui m'a intéressée et sa révolte à elle, qui vaut bien celle d'Antigone, contre tous les tyrans, les Créon mais aussi les Antigone, qui vous intiment l'ordre de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, peu importe, mais de s'engager, de choisir. Elle s'engage pour le droit de ne pas choisir, pour le désir et la vie. Enfin, c'est ce que j'ai compris, mais il y avait probablement d'autres lectures.
    derniers billetsderniers billetsIls regardaient le monde dans le yeux de leurs voisins, Cie Demesten Titip, Marseille. Réalisation et mise en scène: Christelle Harbonn. Dramaturgie: Alexandra Licha 

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  • Ils regardaient le monde dans les yeux de leurs voisins.

    C'est le titre du spectacle que nous allons voir ce soir au Théâtre Vitez, d'après Antigone
    de Sophocle. Qui désigne ce "Ils"? Les personnages, les spectateurs? L'argument du programme nous éclaire un peu plus: "Un petit bonhomme griffonné au bas de la page d'une scène de Sophocle essayait de lire son monde dans les yeux d'Antigone mais n'y trouvait rien de ressemblant. Tout honteux qu'il était de faire tache dans le mythe, il se mit lentement à disparaître. Alors qu'il allait être totalement bu par la page, il vit au loin le nom d'Ismène."
    D'autres questions surgissent: quel est ce petit bonhomme griffonné au bas de la page? L'avatar du lecteur? Comment rendre sur scène la matérialité de la page? Quelle lecture d'Antigone? Bu par la page me laisse songeuse... une disparition, une dissolution du spectateur-lecteur dans le mythe.
    Perplexe, je lis le texte en italique qui suit:
    Dans ce corps amolli que je dis, une chose demeure intacte, pure, opiniâtre, c'est le désir et ce sentiment d'un injustifiable retard. Et cela n'est pas concevable. Souvent les femmes, à de tels moments, prennent les statues dans leurs bras, les embrassent sur leur bouche de pierre, elles rêvent qu'elles passent la nuit avec elles. S'il vous est arrivé de voir les lèvres des statues humides, c'est de la salive des femmes délaissées. La mémoire, bien sûr, est une sorte de refuge. Et, pourtant, elle aussi s'épuise, il lui faut de nouvelles représentations, ne serait-ce que de hasard -ou même étrangères. Yannis Ritsos.

    De plus en plus perplexe, je range mes questions dans une valise et je pose la valise dans un coin. J'attends mes amis pour nous rendre au théâtre. Du spectacle,je n'attends rien, je n'ai aucun a priori (négatif ou positif) vis-à-vis du spectacle mais justement, c'est un bon texte de programme, un bon programme...

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  • L'autruche a sorti la tête du sable, a corrigé ses copies, a préparé ses cours et en renversant de l'encre rouge sur les doigts s'est transformée en bon petit soldat - demain sergent-chef?

    Puis la voix d'un personnage de Beckett:

    La mer, le ciel, la montagne, les îles, vinrent m'écraser dans une systole immense, puis s'écartèrent jusqu'aux limites de l'espace. Je songeai faiblement et sans regret au récit que j'avais failli faire, récit à l'image de ma vie, je veux dire sans le courage de finir ni la force de continuer.

    Fin de "La Fin" in Nouvelles et textes pour rien, Samuel BECKETT, éditions de Minuit, 1958.

    Enfin, on assassine encore des gorilles. 


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  • Au lieu de travailler et de me morfondre devant l'infini du  travail qu'il me reste à faire avant lundi, je regarde le ciel: il a changé en l'espace d'une heure (le temps de me dire que je ne parviendrai pas à avancer ma pièce aujourd'hui) sous le coup du mistral: de gris anthracite il est passé au bleu carte postale. Je ne sais lequel je préfère, les deux me font oublier la boue du monde.derniers billetsderniers billets

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  • Pas sortie de la maison, pas pris l'humeur du ciel. Juste ces quelques clichés pour humer le ciel d'après pluie, ciel sans suie. S'ensuit ce qui s'ensuivra. Pour varier un peu, trois fenêtres, trois ciels différents: de la chambre de mon fils, de la salle de bain, de ma chambre...derniers billetsderniers billetsderniers billetsderniers billets

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