• Cours suspendus

    L'action se suspend- C'est en lisant ces mots du très bel essai Avez-vous lu REZA? de Denis Guénoun (éd. Albin Michel), que m'est revenu un moment de la semaine, avec M. en entrant au collège pour la demi-journée banalisée. Lisant l'affiche sur le portail, M. a levé la tête vers le ciel en riant et m'a fait voir les "Cours suspendus" dans l'air froid du petit matin. J'ai ri avec elle, nous émerveillant de ces guirlandes suspendant le cours ordinaire des choses, scintillantes de givre et de joie festive. Car la demi-journée banalisée nous faisait sortir du banal, des cours et des élèves. 
    D'abord, nous, habitants des venelles, nous en sommes sortis de nos venelles, ruelles, rues pour prendre la route tous les quatre dans la même voiture, une fois n'est pas coutume. Et ce n'est pas coutume faisait notre joie. Bien sûr, au collège, nous nous parlons, nous apprécions, mais faute d'emplois du temps communs, nous pouvons tout au plus co-voiturer à deux et je ne peux plus partager le trajet avec M., avec laquelle je partage ce besoin d'enchantement du réel. Au point de vouloir emprunter d'autres routes certains matins ensoleillés, pour l'Italie. Ce jour-là encore, avec M., nous nous sommes promis de faire un jour le collège buissonnier avant qu'elle prenne sa retraite. Ces "cours suspendus" m'ont rappelé les paroles gelées de Rabelais, et aussi le Ô Temps, suspends ton vol lamartinien, bizarrement aussi de la "Ballade des pendus" de Villon, qui m'a rappelé le texte de Michon évoquant la mort de sa mère dans Corps du roi:
    Je devais prier, appeler le coeur et l'âme, que cette femme méritait. J'essayai une de ces choses apprises au catéchisme, sans doute le Notre Père, je m'arrêtai très vite. Et puis le texte, la prière, s'imposa, venue de très loin, comme envoyée par un autre, et je la dis haut, pour que la morte l'entende, en quelque sorte: "Frères humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs contre nous endurcis, car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous merci." Le coeur et l'âme accoururent, je dis le poème d'un bout à l'autre comme il doit être dit, dans les larmes, je me tins debout devant le cadavre de ma mère comme on doit s'y tenir, dans les larmes. ("Le ciel est un très grand homme", Corps du roi, p. 72-73, éd. Verdier).

    Des cours suspendus à la suspension de l'action, en passant par les paroles gelées et le suspens du vol du Temps, de tours en détours, la pensée s'amuse, pour fuir le noeud coulant de la mort ou pour mieux l'épouser? Peu importe, la boucle sera bouclée un jour et entre temps, les mots auront dansé. Comme dans le "Bal des pendus" du jeune Rimbaud qui nous donne à voir le plus vivant des morts, dans un dernier sursaut de liberté, à la fin du poème:

    Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre
    Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
    Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre:
    Et, se sentant encor la corde raide au cou,

    Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
    Avec des cris pareils à des ricanements,
    Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
    Rebondit dans le bal au chant des ossements.

    Au gibet noir, manchot aimable,
    Dansent, dansent les paladins,
    Les maigres paladins du diable,
    Les squelettes de Saladins. 

    Arthur RIMBAUD, Poésies, Une saison en enfer, Illuminations, éd.nrf, Gallimard, "Les Cahiers de Douai", p. 52  

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 12 Mars 2010 à 18:22
    Bien sympathique cette promenade suspendue au fil du temps !
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