• Peu de mes anciens textes résistent à la relecture. La plupart d'entre eux finissent leur vie dans la corbeille. Quelques-uns passent au scalpel ou attendent une révision complète. Celui-ci, avec ses défauts,  je lui trouve un certain charme et le livre tel quel... Je pense qu'il a été écrit il y a une vingtaine d'années.

    enfance de l'art

    L'enfant vieux.

     

     

                Pour retomber en enfance, il faudrait mettre de côté la littérature; il faudrait retrouver les quelque mille mots qui composent son vocabulaire et sa langue. L'enfance de l'art. L. dit les étoiles d'araignée, sa mère les happe dans l'aspirateur du temps. Il faudrait pouvoir le débrancher; l'écriture ne fixe rien, elle embrasse un univers parcellaire alors que l'enfant s'attache à saisir les grands mystères. Il faudrait que j'arrête de dire il faudrait. Je laisse tomber cette troisième personne virtuelle, conditionnelle et qui, somme toute, n'a rien d'une grande personne, c'est-à-dire un enfant.

                A tâtons, je cherche dans le noir de ma mémoire, l'interrupteur qui ne me fera ni tomber dans le vide ni sur un monstre caché. Je traque l'enfance aux confins du langage. Chuchotis des adultes et mystère de ces chutes: "...elle est tombée  enceinte après être tombée  amoureuse...elle est tombée  de haut..." Moi, je tombe pour de vrai; je dois avoir sept ou huit ans, je joue dans l'arrière cour de la boutique de ma mère quand je trébuche et me fêle le bras. C'est le silence et la surprise qui ont suivi, que je revis avec le plus de force aujourd'hui, et la prise de conscience que je suis seul à éprouver ma petite existence dans ma carcasse, aussi précieuse que précaire et que personne n'est là pour me témoigner sa sollicitude et me dire "ça va?", alors je prends peur en même temps que la douleur surgit brutalement, je pousse un hurlement. Fin du souvenir. Bien sûr, on a dû venir ou je me suis relevé tout seul, on m'a mis un plâtre, mais ce grand cri-où entrait aussi probablement une part de mon goût précoce du drame- avait la puissance de la révolte de celui qui vient de comprendre qu'il est mortel et seul face à cette échéance qu'il va retarder le plus longtemps possible. Toutes les chutes ont trait à la vie ou à la mort. Les morts ne tombent pas plus bas que dans la tombe où ils reposent.

                Ce matin, j'ai cherché l'enfance dans un cimetière. J'aime le silence qui préside à ces lieux. Je tente de définir mon paradis perdu. Encore l'histoire d'une chute! Faire des choux gras de mon enfance en puisant aux vaches maigres de ma mémoire, il me reste des images et des mots, les gros mots du capitaine Haddock-le moment où l'on commence à chercher ectoplasme, bachi-bouzouk, dans le dictionnaire est la frontière qui nous fait pénétrer dans le monde sensé des adultes. Dommage que les grands-parents meurent plus vite que l'enfance, cette longue maladie dont on se remet difficilement.

                En parcourant distraitement les allées, je tentais de déchiffrer sur les stèles ces vies résumées en huit chiffres, un nom et un prénom, agrémentées parfois d'une photographie ou d'une épitaphe banale. L'une d'entre elles m'a ému: Cette simple pierre recouvre ce que j'ai de plus cher. La mienne sera: Ci-gît son enfance. J'ai vu ce matin des tombes d'enfants qui m'ont fait verser des larmes gratuites, de celles qui sont un don à la vie. Les enfants rient et pleurent sans calcul. Avant, quand je me prenais pour un auteur (mais qui écrit la vie?), je me guettais tout le temps; j'épiais  la faille d'où naissait l'émotion et à l'instant où je la touchais du doigt, elle s'échappait et se déplaçait. Le sentiment d'avoir percé un mystère se transformait en la satisfaction d'avoir trouvé le mot juste. Avec l'âge, les maux se substituent aux mots. Je ne sais plus ce que signifie rémission, c'est pourtant grâce à ce sésame  que je dois d'être sorti de l'hôpital.

                Je vois l'impuissance et l'apitoiement dans les yeux des médecins, aussi incolores et inodores que leur blouse. S'ils savaient comme j'y gagne à perdre la mémoire. C'est un peu perdre son chemin en forêt et trouver un monde magique et merveilleux. Car finalement c'est l'enfant qui est en moi qui m'a rattrapé le premier. Pour eux, j'ai déjà un pied dans la tombe alors que j'ai la tête en vacance et un pied dans l'enfance.

                Avec L., un jour, on a joué à passer le temps avec une clepsydre et un sablier; gagner du temps en le regardant couler goutte à goutte, grain par grain, goutte à grain, grain de peau et peau de chagrin. Demain, L. arrive pour les vacances. On va aller jouer dans le cimetière en cachette de nos mères, la sienne (ma fille?) et la mienne (sa grand-mère?). Nous n'avons pas peur des morts et eux non plus, ils ne nous mordent pas. Nous sauterons à cloche-pied dans les allées et nous jouerons à Robin des bois - on prendra les chrysanthèmes des riches pour les donner aux pauvres. Nous ferons griller des châtaignes sur les feux follets, les morts joyeux qui dansent. Il faudra faire attention à cette femme dangereuse qui va accoucher d'un monstre et qui fait peur aux chiens : L'enceinte du cimetière est interdite aux chiens même tenus en laisse. C’est écrit sur le panonceau à l’entrée du  cimetière. Qui de L. ou de moi demandera : Qui c’est la dame enceinte du cimetière ? Et pourquoi n’aime-t-elle pas les chiens ? Nous, on accouche de nos rêves et on aime les chiens. 

                On jouera aussi avec L. aux mots qui déraillent  en dégustant la tarte tatin de mamie, tarte tatin (à roulettes), perlimpinpin, menu fretin... Pour l'instant, aux yeux de L., je fais office de grand-frère; il ne sait pas encore bien lire, mais il sait compter sur moi. Il déchiffre parfois les signes de l'angoisse qui m'étreint quand je pense à lui qui grandit et moi qui rapetisse, bientôt poussière... Pour l’instant, nous avons le même âge, celui des jeux innocents.

    Les nuages, tels des chars à l'assaut de l'horizon, jouent à la guerre. Ils roulent bas et écrasent tout sur leur passage. Déjà, on voit les morts dorés  à la cime des arbres; mais ça palpite encore. Lorsque les premières gouttes dégoupillées m'atteignent, je découvre que je suis immortel. Ma mie, en voyant mon uniforme tout crotté, me foudroiera d'un regard noir, que je sais armé à blanc

    Je suis retombé en enfance sans me faire trop de mal. Pour l’instant. 


     


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  • coup de sangLa main à charrue jalouse parfois la main à plume dans la poche. Alors la main à plume reproche à la main à charrue de mal la nourrir. Les deux, insatisfaites, découragées haussent la voix et en viennent vite aux mains. Jeux de mains- de vilains. Coup de sang de mes deux mains. Alors mes pieds prennent le relais. Prennent de la hauteur, le large et la distance. Prennent l’air grand sans pour autant prendre de grands airs. Prennent leurs jambes à leur cou – et comme mes pieds long temps ont dansé ils ont encore un beau cou-de-pied… Savent sur quel pied danser, eux. Prennent le temps de se soulever, de se croiser, de se poser, de recommencer. Jamais las. Jamais découragés. Ne se posent jamais la question de savoir qui vaut le plus. Quand le pied gauche se pose le premier le matin, il le fait sans réveiller la voix, celle qui parle avec des expressions toutes faites. Le pied droit fait de même.  Tout marche bien jusqu’à ce que la main à charrue prenne le stylo. Alors elle devient la main à plume rouge et trace un sillon rageur. 

    coup de sang



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  • tour d'ivoire

    Descendu de sa tour d'ivoire dimanche

    S'aventure dans les rues du village des nuages

    tour d'ivoire

    Observe une douche de lumière

    tour d'ivoire














    Plus loin la tornade va au cirque

    Contre-plongée sur la fin du weekend.

    tour d'ivoire


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  • némésisTerminé la bio de Camus (celle d’Olivier Todd). Soulagement après fébrilité de ces derniers jours. Ça finit mal et la fin est connue. Aurais pu me contenter de lire le dernier chapitre. N’attendais que cela, pas la fin, pas ce platane absurde surgissant sur une route nationale non loin de Sens, sans aucun sens, non, ce que j’attendais c’était l’achat de la maison à Lourmarin. C’est juste que les premiers froids – sauf les couleurs - de l’automne, les paysages du Vaucluse que je traverse tous les jours, la proximité de Lourmarin (du collège Albert Camus à la Tour d’Aigues à celui de Cadenet, l’hésitation à bifurquer chaque fois que je vois le panneau Lourmarin 5km), tout cela fait que je projetais d’y aller prochainement faire des photos avec l’ami Phil. C’est chose faite aujourd’hui. C’est là qu’il  a écrit ces mots d’une noirceur lumineuse:

    « Pour Némésis (à Lourmarin, décembre 59)

    Cheval noir, cheval blanc, une seule main d’homme maîtrise les deux fureurs. À tombeau ouvert, joyeuse est la course. La vérité ment, la franchise dissimule. Cache-toi dans la lumière.

    Le monde t’emplit et tu es vide : plénitude.

    Petit bruit de l’écume sur la plage du matin ; il remplit le monde autant que le fracas de la gloire. Tous deux viennent du silence… »

    Char n’est pas loin. Chute de ce texte camusien :

                « Sous la dalle de la joie, le premier sommeil.

                Semé par le vent, moissonné par le vent, et cependant créateur, tel est l’homme, à           travers les siècles, et fier de vivre un seul instant. »

                 Olivier TODD, Albert Camus, une vie, éd. Gallimard, 1996.

    J’ai posé un caillou blanc et un caillou noir sur la tombe. Relu ces mots dans le silence du petit cimetière. 

    némésis

                              Photo Philippe Marc, Lourmarin, le 14/10/12




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  •  Finir les phrases de Modiano


    finir les phrases de Modiano

     

    Fin de journée difficile… Entrée d’un prof-automate-soldat-plus vraiment la fleur au cartable- dans habitacle décompression d’une voiture en pilote-automatique –fidèle soldat – la fleur au pare-soleil– radio du service public – la parole d’un homme ponctuée de euh… de points du suspension sur plusieurs lignes, parole en quête, confuse, hésitante, la voix reconnaissable d’un écrivain dont on a aimé la voix à l’écrit… Jadis, quand on lisait encore des livres. S’il fallait noter la performance orale, l’élocution, la fluidité de la pensée, même la progression depuis les Apostrophe de Pivot –déjà à l’époque le constat du contraire de l’aisance télévisuelle, d’une souffrance à dire ce qu’il suffirait de lire pour être entendu, qui touche les touchables - sûr qu’il n’aurait pas même la moyenne… Le prof-formaté-petit format  soupire, tente de surmonter son irritation. Se surprend à finir les phrases à sa place. Soudain, l’automobiliste tend l’oreille, il se prend au jeu des silences si denses, des euh heureux – où l’on se surprend à penser, plus exactement à penser comme Modiano, à finir ses phrases. À comprendre exactement ce qu’il veut ne pas dire. Si c’était une stratégie de sa part, ce serait un maître à penser. Sans aucun doute, c’est une voix singulière, qui dérange le communicant automate ronronnant. La voix de Modiano touche le lecteur caché sous l’automate. Le lecteur écrit, est Modiano. Carapace d’automate pulvérisée.

    finir les phrases de Modiano

    finir les phrases de Modiano


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