• singes signes neigesElle neige. La divinité de la légèreté a entendu mes prières. Je lui dois une ode. À la joie et l'émerveillement retrouvés en enfance. Tout a changé. Le plomb a pris de la plume dans l'aile. L'arbre qui s'appelait sycomore hier encore s'appelle aujourd'hui sic and more and more... Ainsi, et de plus en plus, la nuit a laissé place à la blancheur, le bruit au silence, le poids à la légèreté. Même les pas lourds de neige, s'allègent dans la liesse. Même la pensée d'Omer jouant dans la neige me fut souvenir léger. Ulysse aux milleclowneries, après avoir crevé l'oeil du monstre hiver, se glissa sous la toison blanche des flocons et sortit de l'antre. 

    singes signes neigesBien sûr, le don de la neige appelle un contre-don: les doigts ou le moteur gelés, pire parfoi - la petite fille aux allumettes meurt dans la neige, oui, mais auparavant elle a vu des merveilles. La neige déroule ses pages pour y inscrire les signes qu'on veut y lire. Évidente parenté de la neige et de la lecture, par le blanc et le  silence. Souvenir très fort d'un cours de littérature comparée sur Dubliners de James Joyce. Madame B. lisant à voix haute un extrait de la dernière nouvelle du recueil "Les morts". Au moment où la neige tombait dans la fiction, on a vu à travers les fenêtres la neige commencer à tomber. Quelques petits coups légers sur la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. Il avait recommencé à neiger. Il suivit d'un oeil ensommeillé les flocons argentés et sombres qui tombaient obliquement dans la lumière du réverbère. Le temps était venu pour lui d'entreprendre son voyage vers l'Ouest. Oui, les journaux avaient raison: la neige était générale sur toute l'Irlande. La neige tombait sur chaque partie de la sombre plaine centrale, sur les collines sans arbres, tombait doucement sur le marais d'Allen et, plus loin vers l'Ouest, doucement tombait sur les sombres vagues rebelles du Shannon. Elle tombait aussi, en chaque point du cimetière solitaire perché sur la colline où Michael Furey était enterré. Elle s'amoncelait drue sur les croix et les pierres tombales tout de travers, sur les fers de lance du petit portail, sur les épines dépouillées. Son âme se pâmait lentement tandis qu'il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l'univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts.

             James JOYCE, Dublinois, traduit de l'anglais par Jacques Aubert, Préface de Valéry Larbaud, éd. Gallimard, 1974, Folio, 2439.

    singes signes neigesLa neige ne tombe plus. Seuls les nuages affluent en masses sombres, traversant le ciel d'ouest en est. 




    singes signes neiges












     



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  • Que n'ai-jeRêve de neige entre nuit blanche et brun matin. Neige, que n'ai-je? Ensuite seulement, bulletin météo: épisode neigeux possible, ici. Or de neige que nenni sinon peut-être ce ciel de neige. Au moment de faire courses, saisis le masque d'Apollon en carton pour le prendre en photo sur ciel d'un beau gris. Le temps de rouler au supermarché, le temps a changé. Le soleil, un tyran parfois par chez nous! De quoi me plains-je?

    Comment s'appelle le dieu de la neige? Un beau chant pour le célébrer je déroulerai, s'il daigne se montrer. Dans la nuit blanche et dans la neige, je m'enfonçais. Crissement seul de mes bottes, entendais-je.

    Que n'ai-je enfin le silence? Que neige le silence et l'antan! Que revienne Villon baller le temps passé! 




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  •  U (bu est-ce que?)Rêvé (debout) depuis maintenant quatorze heures. D'un train attrapé au dernier moment dans le creux (creusement de la langue, si se pouvait). Intranquillité, inquiétude, sentiment pénible d'avoir oublié quelque chose d'important. Trop tard, de toute façon, mais ne m'installe pas. S'assurer qu'on est dans le bon train? Non, pas même ce souci. Le train peine à gravir une côte très raide. Au sommet, on est presque à l'arrêt. Le train s'immobilise un instant  puis s'ébranle de nouveau mais au lieu d'aller de l'avant, il repart en arrière, jusqu'au creux, puis commence l'ascension de l'autre côté du U, car il s'agit d'un U, à coup sûr. Et à chaque fois, parvenu au sommet du jambage, le train revient creuser le creux du U. Aucun malaise ensuite, pas même le sentiment de perdre mon temps dans ce train ubuesque. Au bout d'un moment, le désir de me réveiller, cependant. Ce que je fais. Un coup d'oeil m'apprend qu'il n'est pas encore quatre heures.

     U (bu est-ce que?)

    Dans le lit, s'esquisse le vague projet d'un abécédaire, ou plutôt d'un azertyaire onirique mais pour l'heure, un certain concours approche. Relu aujourd'hui les incipit et les explicit des nouvelles de Maupassant, ai trouvé quelques pistes intéressantes et me prends à rêver que ce soit lui qui tombe (plutôt que moi sur une impasse). Un vrai papillon papillonnant sans constance, vous dis-je, hier encore rêvais de Lagarce ou La Fontaine. Relis alors quelques fables. Mal aux yeux, mets un peu de couleur sur dessin raté qui se voulait aquarelle. Ne parviens plus à lire ni à écrire (relier le U à quelle lettre et pour quel mot?). Heureusement, matinée coupée par une séance d'aquabike pour évacuer toute pensée ressassante, toute pensée tout court. Et puis l'angoisse cet après-midi - (dernier) remords (avant l'oubli?) d'avoir abandonné Rabelais alors qu'il nous a tenu tout l'été. Lecture de quelques pages très denses de Bon (le généreux) lisant Rabelais. Thé rouge et yeux qui fatiguent. Extinction des feux. 

     U (bu est-ce que?)


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  • trop sur la branche

                          Photo de Philippe Marc (merci!!!)

    Finir par le faire, tout de même. Un jour, tout simplement on le fait. Parce qu'on en a assez de leurs cris d'orfraie, de leur verbiage d'un haut niveau, parce est trop nombreux sur la branche. Ou sur le fil. Comme on dit sur le fil du rasoir. On aurait fini par faire une bêtise. Un accident est si vite arrivé, l'équilibre est précaire. Certains ont essayé, se sont brisés les ailes. Alors imaginez, sans ailes. On joue des coudes et puis c'est la chute. 

    Mieux vaut alors en finir. Ne plus fréquenter ses congénères. Quitter le fil, le nid, la branche. Explorer l'horizontalité, la verticalité - le piqué fondu, la spirale ascensionnelle- la lumière aussi, mais avant tout travailler la poétique de l'espace. Dans le silence. Oui dans le silence.



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  • marcher seul sur un viaduc avec Lagarce

             Photo de Philippe MARC (Merci !)

    Une chose dont je me souviens et que je raconte encore

    (après j’en aurai fini) :

    c’est l’été, c’est pendant ces années où je suis absent,

    c’est dans le Sud de la France.

    Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne,

    je décide de marcher le long de la voie ferrée.

    Elle m’évitera les méandres de la route, le chemin sera plus

    court et je sais qu’elle passe près de la maison où je vis.

    La nuit, aucun train n’y circule, je n’y risque rien

    et c’est ainsi que je me retrouverai.

    À un moment, je suis à l’entrée d’un viaduc immense,

    il domine la vallée que je devine sous la lune,

    et je marche seul dans la nuit,

    à égale distance du ciel et de la terre.

    Ce que je pense

    (et c’est cela que je voulais dire)

    c’est que je devrais pousser un grand et beau cri,

    un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée,

    que c’est ce bonheur-là que je devrais m’offrir,

    hurler une bonne fois,

    mais je ne le fais pas,

    je ne l’ai pas fait.

    Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier.

     

    Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.

     

                                                                          Juillet 1990

                                                                                      Berlin.

     

                           Jean-Luc LAGARCE, Juste la fin du monde, « Épilogue », pp. 77-78, éditions les Solitaires Intempestifs, 1999.

     

    Quelques mots sur cette image qui me bouleverse plus que je ne saurai l’expliquer. Elle se déploie dans ma boîte noire, avec la netteté et la force que seuls possèdent les rêves. Je vois Louis (le personnage qui revient annoncer sa mort prochaine à sa famille, après une longue absence, sans y parvenir) arpenter ce viaduc, mais ce pourrait être Lagarce ou un autre de ses/mes doubles – on sait la duplicité des rêves à nous tromper - , comment dire ? C’est cette montée en puissance se dépliant sur quelques alinéas mimant ce sentiment de plénitude  intériorisée à son comble, et demandant à s’extérioriser en un grand et beau cri. C’est le rêve de ce cri, se poursuivant sur un nouvel alinéa, le plus long, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée, se prolongeant encore sur la promesse de bonheur, et puis cela décroît (sept syllabes), on n’y croit déjà plus malgré que, et la descente brutale (six syllabes), la disparition du présent, le constat sec au passé (cinq syllabes). Point sans pathos. Pause et la remise en marche avec une image sonore qui remplace celle du cri qui n’aura pas été crié, les pas sur le gravier. La vie marche encore un peu, alourdie d’un regret.

    On pourrait gloser sur cette absence de cri. Au moment où on se sent si vivant, dans sa solitude, à égale distance du ciel et de la terre, on s’aperçoit peut-être qu’un cri ne se justifie que si quelqu’un l’entend, non ? Peut-être plus compliqué que cela. L’image n’a pas fini de travailler en moi. Toujours est-il que ce cri aura quand même existé par l’écriture.



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