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    De la passeuse à la passante


    La patience tu apprendras, le temps tu passeras, ou feras passer, quitte à l'euthanasier, une petite piqûre pour mettre un terme à toutes douleurs, mais toutes jouissances aussi, aussi prendras-tu le temps de la réflexion avant de tuer le temps. En attendant, tu pourras le déguster, le savourer, le faire glisser sur ta langue comme un délicieux sorbet d'été. Ces moments rares couleront de source, comme les fleuves à la mer. Il te faudra être vigilante, ne pas les laisser sombrer dans l'inconscience, pour ne pas les laisser passer, ni moi, la passeuse déjà passée. D'ailleurs, il est l'heure de te lever. Il suffit de parler. Il faut passer à l'action. Il faut passer.



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  • baisser le rideauAlors on ne vous reverra pas? C'est bien sûr, vous ne regretterez pas? Le poète a toujours raison comme dirait l'autre, de poète, mais quand même, baisser le rideau après toutes ces années... Les poèmes d'amour, ça marchait plus? Dommage, on s'était habitués... Au début, c'est vrai, quand vous vous êtes installé ici, on vous appelait le Fada, mais quand vous avez écrit la poésie à Dédé pour la Marcelle, alors là, ça a plus été pareil... C'est grâce à ça qu'il a pu la marier... Me rappelle encore quand il lui a lu, on s'était tous cachés derrière la haie de cyprès. C'était quoi le titre, déjà? Ah oui, "Dans mon escarcelle, l'amour de Marcelle". Ensuite, ça faisait "D'amour pour elle, mes yeux étincellent"... Je me souviens aussi que la Marcelle, elle avait un peu tiqué avec "D'amour une parcelle", car elle avait des lettres, la Marcelle, puis elle savait compter aussi, et une parcelle d'amour, de Dédé ou pas, ça reste un très petit morceau... Enfin, à cette heure, ils sont toujours ensemble avec leur parcelle...

    Et puis dix euros le poème, c'est pas très cher, pour l'amour de toute une vie. Ce qu'on n'a pas compris, c'est quand vous avez voulu faire crachiner l'autre au bassinet, là, comment s'appelait-il donc? Oui, c'est ça, Francis Cabrel... Quand vous l'avez accusé de plagiat pour "tout ce que j'ai pu écrire, je l'ai puisé à l'encre de tes yeux", ça vous a fait du tort cette histoire. D'accord, c'est un peu aussi la faute à la coiffeuse! Roselyne, elle l'aimait tellement cette rengaine qu'elle la passait en boucle sur son électrophone et vu que vous étiez voisins, ça vous est rentré dans dans les oreilles et pis ressorti des mains sans que vous vous en rendiez compte. Vous auriez mieux fait de vous en tenir à la cueillette des choses premières, comme vous disiez... Là aussi, vous nous avez bien fait rigoler, avec votre appareil photo en bandoulière, votre petit carnet et votre crayon derrière l'oreille à quatre pattes dans l'herbe en train de suivre les allées et venues des ouvrières d'une fourmilière. Comment vous disiez déjà? Je suis des yeux et du coeur le travail de la vie éphémère pour nourrir mon imaginaire de choses vraies et nécessaires. Ouais, on a bien rigolé. Attendez, donnez-moi vos paquets, je vais vous aider. Alors, c'est décidé, vous nous quittez? C'est sûr, vous deviez pas gagner des milles et des cents, surtout maintenant avec Internet, on trouve tout sur cette machine-là... même des engins comme vous, non? Enfin, on vous regrettera...



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  • à peine été"Éloge funèbre de l'été 2011, prononcé par Marguerite de Bonpied-Souterre, l'une de ses amies très chères."

    Ne nous attristons pas, du moins pas plus que nécessaire. Quelle que soit la chose qui s'achève, elle s'accompagne du début d'une autre, je devrais dire laisse place à autre chose. Et de plus vivant parfois. Sauf pour la vie ou le monde. (Petit rire) On imagine mal en effet le début de la mort ou le début d'un autre monde après la fin de celui-ci. C'est pourquoi, réjouissons-nous, l'automne par ici est très beau, il se pare de très belles couleurs qui vont des rouges les plus vifs jusqu'au mordoré le plus, le plus... mort? (Sanglots convulsifs)

    Pardonnez-moi, je n'aime que le doré vivant, des cheveux blonds des champs de blé jusqu'aux peaux halées des méditerranéens... Hum, hum, pardon je m'égare. Ce que je voulais dire (ton féroce) c'est que je déteste l'automne, la rentrée des classes et les chaussettes. Mais nous sommes  tous assemblés ici pour célébrer notre ami l'été et ses filles les vacances, trop tôt disparus, balayés comme de vulgaires fétus de paille par ce terrible mistral, vendredi dernier. À peine a-t-il été, l'été, qu'il était déjà parti ailleurs, incapable de tenir en place. (nouvelle crise de pleurs)

    Certes, tu n'étais pas très beau: un peu court sur pattes, le front soucieux, les nuages gris de tes ennuis financiers obscursissant souvent le ciel de tes pensées... Oui, tu étais souvent ombrageux ces derniers temps avec la crise et tout et tout. Parfois orageux même. Mais je me souviens aussi de ton visage radieux le jour où ton fils Juillet t'a annoncé sa réussite au Bac: pleurs de joie ou champagne, tu en as versé des litres et des litres... Toi au moins, tu n'avais pas la sècheresse de coeur de ton prédécesseur, le printemps. Tu as su résister aux médisances des gens du Nord, du Centre, de l'Est, de l'Ouest, qui te reprochaient un manque de chaleur. Certains même t'ont accusé d'imposture - tu n'aurais pas été un véritable été mais une Toussaint déguisée - n'importe quoi. Nous, les Sudistes, nous te connaissions bien et savions bien que tu n'étais pas un chien, ni cynique, ni caniculaire. Certes, tu n'étais pas un "super été" avec des "super pouvoirs" comme les "super héros" mais au moins tu n'avais pas de costume ridicule ni l'obligation de venir là où l'on t'appelait. Tu étais libre comme le vent qui t'a tué. Nous ne t'oublierons jamais.





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  • JeanIl y a trop de gens qui m'aiment en ce moment, se disait Jean Quissème, il va m'arriver une tuile ou une couille d'ici peu. En dépit de son nom, Jean n'avait pas une très bonne opinion de lui même, ou si l'on veut - et même si on ne veut pas - il avait une idée si haute de l'amour, qu'elle n'aurait pu l'apercevoir qu'en se pliant en quatre... Qui pourrait condescendre à s'intéresser à sa petite personne aux yeux rouges, doigts jaunes, et cette haleine à la menthe qui cachait quoi? Hein? Jean Quissème du vent récolte des pets dans l'eau, écrivait-il sans même sourire. Pourquoi Jean Quissème ne s'aimait-il pas? se demandait sa biographe. Est-ce- que ça vaut vraiment la peine de continuer? ajoutait l'auteur de ce blog.

    Pourtant de plus en plus de messages de sympathie arrivaient sur son blog pour lui dire qui, des gentillesses, qui des encouragements, qui de l'admiration en veux-tu en voilà. Depuis qu'il avait arrêté de fumer, c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour s'occuper les doigts et la tête, et par dessus-tout de trop penser au manque: écrire sur un clavier les yeux rivés à un clavier, à écrire n'importe quoi, à laisser danser les mots sur le fil du rasoir. Petit à petit, les mots avaient fini par former des phrases qui tenaient la route, la route d'un récit, le récit d'une route. Une route cahoteuse, chaotique, parfois chemin, jamais autoroute, pleine de rencontres. Il s'était laissé aller à lire ce qu'il écrivait et avait voulu le partager sur un blog. Il l'avait appelé Juste-un-mot et en écrivait bien plus. La petite dizaine de visiteurs muets était devenue une centaine de réguliers parmi lesquels d'autres blogueurs qui laissaient des commentaires de plus en plus élogieux. Du coup, Jean Quissème doutait de ses propres doutes. Se pourrait-il que? N'était-ce pas exagéré tout ça? Qu'est-ce qui allait lui tomber sur le coin de la gueule? Il réfléchissait, tournait tout ça dans sa tête, ne parvenait pas à savoir qui avait raison entre ceux qui louaient ses textes et lui qui doutait. Du coup, il n'écrivait plus. Sa route de mots s'arrêta.

    Il mit un point final à tout ça, se relut, s'alluma une cigarette.

    (N'arrive pas à savoir si histoire triste ou gaie... mais la photo est encore de Fil.)



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    Justin

    Justin Sujet n'a rien construit aujourd'hui, à part quelques phrases, et encore, bancales et kilométrales. Jouant les papillons, il s'est posé sur de belles fleurs qui ont pour noms Quart Livre, Naissance d'un pont et Va-t'en va-t'en c'est mieux pour tout le monde. Papillon pensant, Justin Sujet s'est dit que Pantagruel jouait bien le jeu de Rabelais et qu'il irait bien lui aussi faire la guerre aux Andouilles s'il était moins paresseux. Moins paresseux, Justin finirait bien la construction du pont pour rejoindre Maylis de Kerangal, qu'il trouve très belle écrivaine. Au lieu de ça, il boit du Coca en écoutant Nina Simone, Billie Holiday ou Thalia Zedek, Titi Robin ou Alfred Deller. Ça, c'est la faute à Christophe Grossi qui dans son récit n'arrête pas de le narguer avec des titres ou des musiciens qu'il ne connaît pas. Et puis c'est aussi sa faute s'il s'amuse à traduire des textes trop beaux en anglais et que ça tient pas la route quand ça se retrouve en français. Non, la traduction c'est la faute de Justin Sujet qu'était pourtant bon en version avant... Alors pour la peine, Justin Sujet ne prendra même pas la peine de retranscrire un extrait de son roman qu'il essaie de faire tenir encore jusqu'à demain, mais au-delà ce sera dur.

    Justin Sujet s'aperçoit avec effroi qu'il n'a fait que papillonner et qu'à cette heure, n'a toujours pas trouvé de sujet pour son billet. Il consulte ses mails et bonheur, Fil lui a envoyé ses dernières photos:  un beau papillon sur de belles fleurs. Ce sera l'image du jour. Le sujet viendra, suivi du verbe et des compléments. Pas de phrases d'un kilomètre, se dit-il.

    " Danse-moi, jusqu'à ta beauté avec un violon qui brûle, incandescent, en flammes, Danse-moi à travers la panique jusqu'à ce que je sois en sécurité" , écrit-il sans conviction. Il préfère ne pas traduire "Dance me to the end of love" (à écouter dans la très belle version de Thalia Zedek) et puis aussi laisser le poème de John Dowland (1563-1626) en anglais (à écouter chanté par Alfred Deller):

    Lachrimae Antiquae Flow my teares fall from your springs, Exilde for ever: let me morne Where nights black bird hir sad infamy sings, There let me live forlone...



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