• Voilà, ce qui devait arriver arrive sans prévenir, sans frapper à la porte. Sans même dire son nom. Cela ressemble à Grosse Fatigue ou à Petite Déprime tant elles se ressemblent toutes les deux. Mal fagotées, mal coiffées, mal embouchées. Il faudrait leur donner un coup de pied au cul et les jeter dehors mais on reste polie. On la laisse entrer.

    Madame Sans-gêne s'installe parfois chez moi pendant des jours, des semaines, et je dois faire avec, faire contre mauvaise fortune... Et ça demande qu'on s'occupe d'elle, qu'on lui offre des petits gâteaux, du chocolat, bref, ceci explique pourquoi je n'ai pas écrit une ligne depuis des jours. Difficile de s'y remettre quand on a une pleureuse dans la tête qui déclame dès le réveil: Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire. Il reste alors à identifier cette nuisible car elle a un talon d'Achille: dès que vous citez ses sources, elle s'en va derechef, dépitée, dégoûtée d'avoir été démasquée. Je l'ai enfin reconnue: c'est Tragédienne qui se prend pour Phèdre de Racine. Elle n'a qu'à avaler son poison, elle ne m'empoisonnera plus, moi.


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  • Dans les huit minutes exactes qui suivent je pourrais arrêter de penser à comment les passer, arrêter le temps qui passe sans arriver à le prendre, arrêter de penser que je pense sans cesse, sans cesser d’y penser je retraverse la liste des maux, des manques, des vides que le temps ne cesse d’agrandir, grandir en fuyant ce vide pendant que le temps défile…Défilé de souvenirs passés, à rêver, à créer, et c’est de plus belle que la valse des maux redémarre à trois temps…

    Une valse à trois temps
    Qui s'offre encore le temps
    Qui s'offre encore le temps
    De s'offrir des détours
    Du côté de l'amour…

    Ma valse à trois temps ne valse plus du côté de l’amour…Je veux reprendre la danse, mais huit minutes n’y changeront rien : dans les huit minutes exactes qui suivent j’aurais pu réparer le rideau qui attend depuis des mois, j’aurais pu me plonger dans les maux de « l’homme qui voulait vivre sa vie », j’aurais pu faire valser la vie de mille façons sans réfléchir à la couleur de la minute suivante, j’aurais pu…j’aurais pu ? Le conditionnel qu’on aime tant conjuguer au lieu de prendre le temps au temps…Mais ces huit minutes exactes n’y changeront rien, pas celles-là…Je prendrai les prochaines.


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  • Je m'appuie ici sur une consigne de François Bon lors d'un atelier d'écriture sur le principe de l'accumulation et d'après une phrase de l'écrivain Tarkos. Allez directement sur le lien car vous ne perdrez pas votre temps de toute façon en butinant au hasard sur le site de tierslivre.

     Dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux pester contre cet ordinateur aussi sensible au toucher que la princesse au petit pois et qui m'affiche des messages sybillins dont je n'ai cure; dans les huit minutes exactes qui suivent je peux poser une main trop froide sur le front trop chaud de mon redevenu petit et qui n'a pas été malade depuis au moins dix-huit ans et le regarder, lui, les yeux fermés, ses longs cils de bébé qui m'émerveillaient, sa barbe maintenant de plusieurs jours, dans les huit minutes exactes qui suivent je peux dégager ses cheveux humides en arrière de son front, caresser son front avec ce renflement horizontal - la bosse des maths?- qu'il a en commun avec son père, m'attarder sur ces sourcils qui se rejoignent au-dessus du nez, voir deux plis verticaux se former et fermer son front sous l'effet de ma main; dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux le voir se réveiller et déglutir difficilement, je peux lui demander de prendre sa température, lui tendre le thermomètre et le voir refermer les yeux sur sa fièvre, la main sur le thermomètre; dans les huit minutes exactes qui suivent, je peux sortir de la chambre, préparer le remède effervescent, m'angoisser pour mon tout grand redevenu tout petit et revenir dans sa chambre, le verre dans la main, le sourire aux lèvres, la main gauche sur le front bombé, lisser cheveux en arrière, prendre le thermomètre, regarder la graduation atteinte par le vif-argent, m'alarmer si trop près de quarante, me ressouvenir d'une terrible fièvre, lui bébé, l'été, ne me reconnaissant plus, les mots "risques" et "convulsions" prononcés par le médecin, les bains toutes les demi-heures -deux degrés en dessous de la température - dans la cuisine de maman, avec elle, surveillant la température de l'eau, moi celle de L., nuit d'angoisse... Mais les huit minutes sont écoulées, l'ordinateur s'est tenu docile sous mes doigts, je monte voir mon redevenu petit. 


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  • Personnages:

    • Va, frère de Vient
    • Vient, frère de Va
    • Allée, soeur de Venue
    • Venue, soeur d'Allée

    Va et Vient entrent très rapidement coté cour et sortent côté jardin en fond de scène. Silence. Même jeu de jardin à cour. Même jeu à l'avant-scène. Ils s'arrêtent, s'assoient et regardent le public. Leur visage est neutre. Va enlève sa chaussure, et se masse le pied. Vient le regarde et hausse les épaules. Venue entre très rapidement côté cour en fond de scène derrière les deux hommes qui ne la voient pas. Allée entre côté cour une chaussure à la main et tente à cloche-pied de rattraper sa soeur en faisant de grands gestes. Elle sort. 

    Venue entre côté jardin à l'avant-scène et passe devant les deux hommes sans les voir, qui la suivent du regard jusqu'à sa sortie côté cour. Allée la suit, toujours à cloche-pied  mais quand elle aperçoit les deux hommes, s'arrête et s'assied à côté de Va. Chacun des deux regarde la chaussure de l'autre. Un temps assez long. Ils lèvent la tête, se sourient. Temps assez long. Vient les observe, hausse les épaules, se lève et sort côté cour. Noir.

    Vient et Venue enlacés par la taille entrent côté cour tandis que Va et Allée entrent de l'autre côté en faisant de grands gestes. Visiblement, ils se disputent, l'un ou l'une faisant une scène à l'autre. Les deux couples se saluent et très vite Allée entraîne Venue à l'écart. Elle pleure et fait de grands gestes agressifs en direction de Va. Venue prend sa soeur dans ses bras. Même jeu entre Va et Vient, à l'autre bout du plateau. Un temps assez long. Vient commençant à trouver le temps long (il regarde sa montre et soupire tout en tenant son frère dans ses bras), tourne la tête pour tenter d'attire l'attention de Venue, qui ne le voit pas. Excédé, il se dégage de l'étreinte de son frère et va rejoindre Venue. Il lui montre sa montre. Venue l'ignore et continue à consoler sa soeur. Il insiste. Elle le chasse. Il revient à la charge, elle se déchausse et lui lance sa chaussure. Il sort de scène, entraînant son frère dans son sillage. Noir.

    Bon, allez, je suis bonne princesse, j'arrête. Comment ça finit? Va et Vient reviennent sur scène et disparaissent. Allée et Venue entrent et sortent. Va croise Venue dont il tombe amoureux et Vient tombe amoureux d'Allée, mais cela finit mal, car ils ne sont pas du même temps: Va et Vient appartiennent au présent et ne peuvent pousuivre les chimères du passé; Allée et Venue ne peuvent vivre avec le présent éternellement. D'ailleurs, Allée et Venue ne sont même pas soeurs... Bon, cette fois, j'arrête vraiment. Un message? Non, non, il n'y a aucun message, mais si vous y tenez...


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  • Ne rien faire d'une après-midi dont on se réjouissait par avance pourtant. Ne pas l'imputer au froid revenu avec matinées blanches givrées et mistral postméridien nettoyant le ciel à sec. Du travail et des corvées, on avait, mais grande lassitude veut repos. Petite sieste coupée de sonneries d'alarmes qui alarment les nerfs. Petite promenade sur quelques blogs. Petit fourmillement d'écriture. Chercher des contraintes. Tomber sur des concours de nouvelles. Ne pas être portée par les thèmes. Un cependant. Plus qu'un thème, un voyage, un rêve qu'on se met à rêver tout éveillé. Il s'agit d'écrire une nouvelle sur le transsibérien: on peut choisir la formule sédentaire ou la nomade. On écrit la nouvelle dans le train mythique de Moscou à Pékin, en juin 2011. Rêver encore. Calculer si on peut faire du rêve réalité. Mais harcèlement percepteur par lettres recommandées empêche rêve d'aller plus loin.

    Alors, rentrer le linge. Déplier corps ratatiné sur le lit. Prendre un livre pour oublier de ressasser. C'est celui offert par Esperluette. Gardé pour les jours comme celui-ci où on n'en peut mais. D'emblée, aimer l'écriture. D'emblée, être conquise par Lait noir d'Elif SHAFAK:

    Elle s'est tellement conditionnée à "réussir" que dès que quelque chose va de travers, elle se traite immédiatement de "ratée". Elle rougit de honte, comme si une mauvaise note venait ternir son carnet de bons points. Après chaque bêtise, elle s'excuse à voix haute, on ne sait auprès de qui. De présences invisibles, peut-être. C'est presque automatique. Elle est accablée de honte du matin au soir.

    Elle ignore qu'avoir constamment l'excuse à la bouche peut aussi devenir une addiction. A répéter "excusez-moi" à tout bout de champ, le nombre de fautes ne fait qu'augmenter.

    C'est un récit sur la dépression d'une femme après un accouchement (dit comme ça, ça ne donne pas forcément envie, mais c'est plein d'humour aussi) dont les premières pages sont rédigées à la troisième personne, une femme qui se néglige se regardant dans un miroir et puis soudain la première personne prend la parole.

    Je devins analphabète. Incapable de lire et d'écrire. Dépouillée de ces lettres qui étaient mes yeux, mes oreilles, mes compagnes de route. J'oubliai l'alphabet. Les "A", les "B", les "C"... tous s'envolèrent comme de rouges cerfs-volants, avant de se prendre aux fils, aux poteaux, aux toits et aux branches des arbres. Je ne pus en sauver aucun. Leur ficelle me resta dans les mains. Les mots étaient mes créatures miraculeuses; ils se dispersèrent et s'évanouirent un à un. Je devins incapable de penser, de rêver, d'écrire.

    M'arrêter. Fermer le livre. En garder pour les autres jours. Reste à fleur de mémoire une expression que je viens de lire qui n'en peut mais et qui décrit bien l'état dans lequel je me trouve cette après-midi, ce sentiment d'impuissance à faire quoi que ce soit (mais l'adverbe hérité de l'ancien français et signifiant "plus", "davantage" et non la conjonction de coordination) si ce n'est avaler les mots des autres.

    Si tu me lis, Esperluette, merci pour ce cadeau...

     

     


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